Par Jorge Valdano
Publié dans El Pais, le 06/10/2018
Le parc des horreurs
Tout à coup, ce qui était flou devient clair et inversement. Valladolid, par exemple, a démarré en hésitant mais en trois jours a gagné deux matchs qui l’ont propulsé au milieu du classement. Au même moment, Madrid et Barça ont vu leur puissance sombrer dans un précipice. Tout ceci peut s’arranger dès cette semaine. Au bout du compte, le football a toujours payé comptant, c’est d’ailleurs pour cette raison que nous acceptons sa condition de phénomène pendulaire se balançant violemment au rythme des résultats. Ce ne sont que des suggestions mais prenez garde aux conséquences. Les réseaux exagèrent les va-et-vient au point qu’ils finissent par convertir un match de huitième journée de championnat en une question de vie ou de mort. C’est terrible pour les entraîneurs qui doivent lutter contre les forces occultes de la perception. Les pauvres. Dans ce parc d’attractions qu’est la Liga, ils sont condamnés à rester dans le train fantôme.
Coupables
Un grand entraineur me dit un jour que les défaites le faisaient souffrir mais qu’il avait fini par apprendre à ne plus se sentir seul coupable après un match. Très bien: pourquoi s’immoler par le feu si les autres se chargeront eux-mêmes de vous tuer ? Nous avons à ce point perfectionné cette persécution que la surprise d’un simple match nul suffit pour partir à la recherche du responsable. D’ailleurs certains triomphes ne suffisent plus parce que, par les temps qui courent, les chasseurs de faute atteignent des niveaux freudiens inédits. Si, par exemple, vous êtes joueur du Barça et que vous gagnez sans respecter les principes de la beauté dictés par le prophète Johan, le triomphe aura un tel degré de pollution esthétique qu’il mettra le public en état d’alerte face à un futur inquiétant. Dans ce contexte, s’accuser soi-même, ce n’est rien d’autre que de la médecine préventive.
Onze ne suffisent pas
Cette mini-crise nous met face à des réflexions intéressantes. La semaine du Real Madrid se termine sur cette question : de combien de joueurs avons-nous besoin pour avoir le ballon et de combien pour créer le danger ? C’est un problème réglementaire parce que, si nous faisons correctement l’addition, il en faudrait plus de onze. C’est sans doute par habitude de jouer avec Cristiano, avec lui les comptes finissaient toujours par tomber juste. Si le centre était au premier poteau, tête de Cristiano, s’il était au second poteau, tête de Cristiano et s’il arrivait au milieu de la surface, tête de Cristiano. Cristiano avait la responsabilité du danger, les dix hommes restant pouvaient s’occuper des tâches moins glorieuses, qui ne sont ni rares, ni faciles. Cette dure semaine a démontré que pour dominer il faut quatre milieux de terrain, mais pour marquer des buts deux attaquants sans férocité ne suffisent pas. On dit toujours que la défense incombe à toute l’équipe, mais il est temps de comprendre que, à défaut de spécialistes, les buts aussi sont une responsabilité collective.
L’exceptionnel comme habitude
Être habitué à vivre avec un prodige, tel est le problème. Regardons le Barça, une équipe qui depuis des années est le refuge d’un style et qui a renforcé sont équipe avec d’importants transferts. Mais il suffit que Messi s’installe sur le banc un instant pour que tous ses coéquipiers paraissent désemparés, incapables de gravir le difficile échelon qui mène jusqu’au but.
Jordi Alba continue à courir comme un avion sur le point de décoller, mais il est condamné à interrompre son vol parce que le ballon n’arrive pas; Dembélé se change en gamin rempli de doutes; Coutinho en une âme en peine; et Suarez, en un poulet sans tête comme le disait Toshak. Tous attendent quelque chose. Le public, la presse, les Chinois qui le regardent à la télévision, eux aussi ils attendent. Messi rentre sur le terrain et le monde retrouve tout à coup sa raison d’être. Même le ballon se souvient qu’il est rond. Le problème se règle mais demeure une menaçante question : que se passera-t-il quand il ne sera pas là ?
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Traduction : Thibaud Leplat