Lopetegui, Florentino et la « tragédie » (traduction)

Sans titre

par Jorge Valdano

publié le 13/10/2018 dans El Pais

Si tu n’y crois pas, ça ne compte pas

Nous espérions que le but qui sortirait le Real de sa sécheresse et que le public du glorieux Deportivo Alavés célèbrerait serait celui de l’égalisation. Pour cette raison, le but de Manu à la quatre-vingt quinzième minute a raisonné comme un coup de feu dans une église. L’inégalable romancier qui habite à l’intérieur du football n’aime rien de plus que tout mettre sens dessus dessous. Le Real était encore en observation quand tout à coup l’Alavés marca un but et le mot « tragédie » apparut dans mon commentaire. A l’heure de décrire les catastrophes ces exagérations tendent à laisser le fait diversier sans adjectif assez fort. Mais quelque soit le jeu auquel on joue, il se doit de prendre toute la place pendant un temps. Si cela arrive à un joueur, il sera concentré au maximum; si cela arrive à un supporter, il oubliera le temps d’un match la vie qu’il a laissée à l’extérieur du stade; si cela arrive au commentateur, il se doit de se laisser emporter par cette merveilleuse fiction. A la fin de la rencontre, je suis tombé sur Lopetegui et Florentino. En voyant leurs mines, je me suis dit « au diable les faits diversiers, ceci c’est une tragédie ».

De l’entraîneur au président

En premier lieu, la possession du Real a été supérieure à 70%. Mais cette donnée n’est que le reflet d’une démarche administrative. On a vu un football baroque, faisant des tours sur lui-même sans que jamais personne ne vienne rompre la monotonie. Le manque de confiance asphyxie l’audace qui est elle-même le robinet qui libère le talent. L’équipe court, lutte, insiste… mais ce qui est espéré du Real c’est de l’inspiration, rien à voir ces qualités d’équipes pauvres. Le second grand problème est le manque de précision… sur le marché des transferts au moment de compenser le départ du plus grand buteur de l’histoire du club. Le talent du buteur est si spécifique que celui du gardien de but. Fruit d’un alliage d’astuce et d’ambition si dissimulé dans l’instinct qu’on l’indéfinit  sous les termes de flair ou sixième sens. Lopetégui se doit de recouvrer la confiance et Florentino le spécialiste.

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Convaincre les convaincus

Pour réduire les différences et ne pas fatiguer, je dirais que Setién aime avoir le ballon et Simeone être maître des espaces. Différents styles défendus par des types différents qui donnent corps à leurs idées sur le terrain sans les confronter en salle de presse. Ils font bien. Renforcer ce qui est sien est légitime et Simeone l’a fait avant le match face au Betis en mentionnant l’équipe de France : « les équipes, depuis le mondial, interprètent qu’il y a une autre manière de jouer au nom de laquelle, dans le repli défensif, on grandit offensivement ». Moi je suis d’une autre école. Ce que je reproche à la France c’est, tout en ayant d’immenses joueurs, d’avoir gagné selon la loi du risque minimum. L’Atletico a battu le Betis, ce qui a renforcé Simeone parce que le résultat n’est pas affaire d’opinion. Mon goût personnel non plus. Ce qui me conduit à continuer à l’admirer, mais depuis le trottoir d’en face. 

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Longue vie au « tiqui-taca »

Un Mondial c’est un monde à part. Les joueurs prennent leur retraite, les entraîneurs changent et les sélections reviennent à une phase d’expérimentations qui suscite de la curiosité mais aucune passion. Un peu comme si les moteurs s’étaient refroidis. Quand les matchs interrompent la marche des championnats, il y a comme une intrusion qui dilue encore un peu plus la curiosité de l’amateur. Luis Enrique c’est l’exception: il est arrivé à la Selección en injectant des idées, de l’enthousiasme et des triomphes convaincants devant l’Angleterre et la Croatie, équipes pourtant renforcées par leur séjour en Russie. En face, la sélection espagnole des 1000 passes dans les pieds à Moscou avait pourtant déclenché toutes les alarmes compromettant la crédibilité du tiqui-taca. Les grandes solutions sont aussi les plus simples. Il aura suffi d’un peu d’énergie, de mélanger la passe dans les pieds avec les passes dans l’espace et de libérer le talent offensif pour que ce qui semblait mort se mette à renaître.

 

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en VO : El juego infinito

en VF : sur ce blog 

traduction : Thibaud Leplat

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