Article publié dans El Pais du 21/03/20
Le football comme spectacle disparu, le classement général comme échelle de nos espoirs évaporé, ne reste plus qu’une évidence : la précarité de cette industrie.
Où est passé le football ?
Quand l’essentiel (santé, économie, liberté de mouvements…) est en danger, le football perd sa condition de divertissement. Les enfants, chose inquiétante pour eux, ne peuvent même plus aller courir derrière un ballon dans le parc du coin. Et, autre épreuve de stress, les plus vieux ne peuvent même plus se passionner pour le prochain match. Ce brusque arrêt a enrayé la mécanique créatrice de passions et de richesse. Au football, si vous gagnez un match, il faudra confirmer au prochain. Si vous perdez, faire mieux. Et si jamais vous faites un nul, on trouvera bien quelque chose à dire. Dans cette dynamique constante, passé et futur semblent vouloir en permanence se rapprocher. Oui mais voilà, le cycle rétro-alimenté d’expectatives, d’incertitude et de polémiques est maintenant rompu. Pas le moindre match pour divaguer, plus aucun interlocuteurs avec lequel discuter, plus aucune information à méditer. Le football a disparu.
Ponts écroulés.
Même les joueurs, ceux-là même que la société avait consacré comme héros, se retrouvent isolés, loin des projecteurs qui les illuminaient. Comme par magie, la lueur que leur transmettait le stade, l’énergie médiatique que leur conférait le prochain match, tout cela les a abandonnés. Ils apparaissent sur les réseaux. On les qui s’entraînent, qui s’exhibent, nous envoient des messages, comme pour nous rappeler qu’ils existent toujours. Le coronavirus les a changés en citoyens ordinaires même s’ils continuent à être payés comme des héros. En effet, le football comme spectacle disparu, le classement général comme échelle de nos espoirs évaporé, ne reste plus qu’une évidence : la précarité de cette industrie. Sans match, plus aucun ticket à vendre, plus aucun contrat de télévision, les amateurs cessent d’être des clients. Adieu l’enchantement. La crise a dû arrivé pour que nous comprenions que le vieux football et le nouveau business ne pouvaient survivre que s’ils construisent des ponts pour les relier.
« Le coronavirus les a changés en citoyens ordinaires même s’ils continuent à être payés comme des héros »
Mauvaises nouvelles.
Alors bien sûr qu’on peut vivre sans football. Mais moins bien. Je l’ai appris très tôt. J’avais à peine 4 ans quand j’ai été opéré des amygdales. De retour à la maison, je me suis précipité dans le jardin que mon imagination venait de convertir en stade. Les pots de fleurs étaient mes adversaires, la cloison un coéquipier généreux qui me renvoyait le ballon et le mur du fond le gardien du paradis. Mais ma mère interrompit ce match et me renvoya au lit d’une gifle et au cri de « ce n’est pas un jour à jouer au football ! ». Peu de temps après, une tante me voyant jouer un vrai match entre amis s’approcha pour me dire, avec une infinie douceur, « ce n’est pas un jour à jouer au football ». Elle me renvoya alors vers l’atmosphère adulte et abattue du deuil de mon père. Plus il y a de football moins il y a de danger. Telle est la question.
« Alors bien sûr qu’on peut vivre sans football. Mais moins bien ».
Quand il reviendra
Quelques raisons supplémentaires pour guetter son retour les bras ouverts. En profiter, en souffrir, le vivre ensemble. C’est notre spectacle dramatique par excellence. Et je dis « nous » parce qu’il nous appartient à tous: aux joueurs qui le rendent possible, aux amateurs qui sont les propriétaires de la passion, aux journalistes qui le racontent, à ces millions de gens, parce qu’il nous donne vie. Mais surtout, parce que le pouvoir populaire du football lubrifie la société, rythme nos journées et accélère nos pulsations cardiaques. C’est maintenant démontré, il suffit d’éteindre les lumières des stades pour nous sentir un peu plus seul, pour que le monde empire un peu plus. Nous avons besoin du football comme de poutres porteuses pour soutenir le bonheur. Peu importe au fond que parfois, comme le dit mon cher et admiré Juan Sasturain « nous ne connaissions pas de bonheur plus malheureux. Mais nous savons qu’il en vaut la peine, qu’il en vaut la joie ».
Traduction : Thibaud Leplat
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