Valdano et Maradona: miettes philosophiques (partie 1)

« J’ai écrit pour ne plus avoir à parler » voilà ce que répond Jorge Valdano quand on vient prendre des nouvelles du maître endeuillé par la disparition de son ami. Sur Maradona il a beaucoup écrit. Sur Diego aussi. Au centre de ses réflexions, toujours les deux faces d’un même personnage qui viennent interroger l’époque et ses préjugés. Car Diego était aussi un grand philosophe. La preuve. Première partie : l’intelligence en liberté

https://twitter.com/MovistarFutbol/status/1331677701023916037

Voici le texte original d’une anecdote célèbre sur le plus beau but de tous les temps. Ce qui est typique de Valdano, c’est que l’anecdote n’est pas un récit décousu pour le simple plaisir de la confidence. L’anecdote a une visée précise : éclairer un problème philosophique. Voici une fable sur l’intelligence de jeu.

L’intelligence en liberté

Pour beaucoup, c’est le but le plus inoubliable de l’histoire du Mondial. Mais combien de choses sont passées par la tête de Maradona durant les dix secondes que dure cette action ?

Sous la douche (juste après le match donc, ndt), profitant du flamboyant souvenir d’une inconcevable action, Diego m’a tué sur place :

— C’est à toi que je voulais passer le ballon, Jorge ! Mais je n’arrivais pas à trouver le bon espace pour te la donner. Pan !

— Attends, tu veux dire que tu m’as vu ? Lui demandais-je, incrédule.

— Oui, tu étais au second poteau mais tu étais marqué, je n’ai pas pu te la donner ! (…)

(…) Ecartons tout de suite ce que semble suggérer une confession de ce type : il ne s’agit pas de croire vaniteusement que j’ai eu quelconque importance. Moi ou un autre joueur, peu importe ici. Il ne s’agit pas non plus de tâcher d’éclairer un invraisemblable paradoxe : un des plus beaux but de l’histoire du football est le fruit d’un malentendu. Ni encore de savoir avec quelle partie du corps il m’avait vu (j’ai revu l’action des milliers de fois, ce n’est clairement pas avec les yeux qu’il m’a vu). Non, ce qui au final est fascinant c’est de connaître l’usage d’une image concrète, fugace qui était apparue dans sa tête comme une météorite et qui finit par se décomposer parce qu’un imprévu avait tout à coup ébloui son intention. (…)

Autre météorite passée par la tête de Maradona dans cette même action, encore un souvenir humide (toujours sous la douche)

— Quand je me suis retrouvé face au gardien je pensais tirer au second poteau, mais je me suis souvenu du match à Wembley…

Six ans plus tôt, (six ans !) l’Argentine avait joué un amical contre l’Angleterre et Maradona avait réalisé une action similaire mais qu’il avait conclu cette fois d’une frappe en douceur au second poteau. Le ballon était sorti légèrement dévié. Le public, impressionné, avait applaudi pendant un bon moment mais pour Diego ce n’était pas suffisant. Il avait retenu la leçon et s’en est souvenu lors de cette rencontre au sommet. Il l’a examinée, comparée et corrigée grâce à ce pouvoir de synthèse qui est le propre des étoiles du football. Au lieu de tirer, il a donc dribblé le gardien et ensuite, sans obstacle, fini par marqué ce but, sorte d’anthologie de mensonges bien racontés, de plans parfaitement manqués au milieu desquels l’intelligence a su se libérer.  

El Gran libro de oro del Mundial, Clarín, 1998, « L’intelligence en liberté », J. Valdano, trad. Thibaud Leplat

Pour le plaisir le but contre les Anglais dans un extrait d’un documentaire pour ESPN.

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