Pep Guardiola, l’héritier sans testament

Pep vient de perdre l’homme qui avait fait de lui un joueur de football, un capitaine et un entraîneur. JC est mort en pleine semaine sainte. C’est à Pep désormais de porter sa croix.

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Que dirons-nous aux plus jeunes ?

Pep nous a raconté cette parabole ce matin, pour nous aider.

Marius, le fils de Pep Guardiola, qui n’avait pas connu Johan Cruyff et qui n’aimait pas tellement l’école demanda hier soir à son père pourquoi il avait l’air si triste. C’est vrai, il avait souvent entendu le nom de « Johan » ou de « Cruyff » dans la bouche de ses parents. Mais jamais le bambin n’avait remarqué les yeux de son père aussi perdus dans le vague qu’hier soir au moment de prononcer son nom. « Cruyff » c’était pour lui le son que faisait les grenouilles au bord des étangs quand on savait rester immobile un instant. « Cruyff, Cruyff » c’était ce qu’il entendait quand il leur tournait le dos puis, faisant mine de s’éloigner, d’un saut vif et expert, en attrapait enfin une. Devant les yeux admiratifs de ses deux soeurs, il triomphait de ses dernières trouilles d’enfant. Pour Marius, Cruyff était un bruit. Pour Pep, c’était un maître.

Comme le petit orphelin de la légende racontée par Walt Disney avait trouvé refuge chez un vieux mage à la barbiche trop blanche pour être véritablement inquiétante, le petit Marius Guardiola, du haut de ses treize ans, écoutait attentivement ce que lui racontait son papa. Cruyff c’était un monsieur qu’il avait connu quand il était très jeune et qu’il n’avait pas encore rencontré sa maman.

– Johan était pour nous plus qu’un entraîneur. C’était comme un maître d’école qui faisait plein de tours rigolos. Il était un peu sévère mais en même temps nous faisait découvrir beaucoup de choses nouvelles.

– Ah… répondit Marius, un brin circonspect.

Marius avait connu quelques instituteurs qui lui avaient plu. Il comprenait de ce que lui disait son père. Non, ce qui le chiffonnait, c’était une question : comment pouvait-on être impatient d’aller à l’école ?

– Mais ses cours étaient tellement bien, que le matin on était pressé d’y aller !

Alors le visage du petit s’éclaira tout à coup.

Il se souvint du barbu si rigolo qu’il avait vu à la télévision.

– Comme Merlin ?

– Oui, mon chéri. Exactement… Comme Merlin.

Il est ici facile d’imaginer Pep prendre son garçon dans les bras et l’embrasser.

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La leçon de Johan

Il venait de perdre un père et son coeur était partagé. Bien sûr il y avait ce chagrin immense et profond de savoir l’homme qui vous a formé à son image, mis dans la lumière puis porté sur ses épaules durant toute votre jeunesse brutalement emporté par la même maladie que Tito, son ami d’enfance. Oui, il y a la douleur inévitable de l’arrachement. Mais il y a aussi autre chose qui est sur le point de commencer.

Cruyff n’était plus.

Il était donc maintenant partout.

C’est le sens des mots que nous a ensuite adressé Pep à la radio. On peut être comme moi fidèle au Real Madrid mais demeuré bouleversé par l’hommage rendu par Guardiola à son mentor.

– À partir d’aujourd’hui nous ne pourrons plus aller le voir quand on veut. Mais il nous reste son héritage. Ceux qui comme moi ont eu la chance de le vivre en direct et de le faire fructifier d’un point de vue personnel, nous devons reconnaître qu’il nous a transmis énormément de choses qu’à notre tour nous appliquons au moment d’entraîner ou de commenter des matchs.

L’héritage de Cruyff n’a pas de testament parce que son enseignement n’est inscrit dans aucun traité, aucune méthodologie précise. D’ailleurs, on aura beau écrire, compiler, convoquer son legs footballistique, on ne trouvera jamais dans aucune archive, aucun manuel, le secret de la formule qui a fait de son Barça, puis de celui de Pep, puis de l’Espagne tout entière, les maîtres du jeu. Si l’on ne trouvera jamais aucun code du cruyffisme dans aucune armoire ou aucune bibliothèque c’est que son enseignement tient en un caractère, une attitude. Johan était allergique à toute forme d’académisme et d’autorité morale. Son obstination à toujours suivre son intuition, voilà sa principale leçon.

Qu’est-ce qu’aimer le football ?

Cruyff n’a inventé ni la défense à trois, ni la position d’ailier, ni celle de relanceur devant la défense, ni la Masia (inaugurée en 1979), ni même la formation barcelonaise (Laureano Ruiz est le premier idéologue de la formation catalane dans les années 60). Non, ce qui a changé avec Cruyff c’est la foi « jusqu’à son arrivée comme entraîneur à Barcelone, écrivait déjà Pep dans El Pais le 15 juin 2006, le jeu de mon équipe chérie n’était que celui de son entraîneur. Avec Menotti on jouait à l’Argentine, à l’Allemande avec Lattek et en jouant à l’Anglaise avec Venables, on a même gagné une Liga. Mais un jour d’été Monsieur Cruyff est arrivé et il se mit à dire et faire des chose qui seize ans plus tard, perdurent encore ».

Ce que Johan a offert à Pep c’est une nouvelle façon d’aimer le football.

– Il nous a ouvert les yeux et nous a permis d’être différents. Voilà pourquoi nous sommes ses adeptes (…) Nous avons eu beaucoup de chance. Il nous a donné une grammaire. Toutes les choses dont on parle aujourd’hui et qu’on ignorait encore à l’époque, c’est lui qui nous les a apportées.

L’héritage qui lie un élève à son maître n’est pas inscrit dans les classeurs ou les notes qu’il a pu prendre ici ou là. Non, l’héritage c’est ce qui au jour fatidique du doute et des premières interrogations, se met à remuer au fond de lui. Comme une petite mélodie ou un conte qu’on aimait entendre au temps de notre enfance, le visage et la voix du maître ressuscitent tout à coup. Et, aussi loin qu’il puisse alors se trouver dans les souvenirs, ses commandements tonnent à nouveau et le doute disparaît. Contre Turin, lors de la prolongation, au moment où il fallait faire le pari de l’attaque ou de la défense, il entendit une petit voix lui brailler quelques commandements dans un espagnol toujours aussi approximatif :

– Parfois je me demande ce que ferait Johan à ma place. Contre la Juve par exemple, quand j’ai commencé à sentir la corde passer autour de mon cou, j’ai pensé à lui et ça m’a aidé à aller jusqu’au bout de mon idée (en faisant entrer Thiago).

Marius avait raison. Cruyff c’était Merlin l’Enchanteur.

« Quel que soit ce que vous cherchez

Dépend de votre volonté

Allez garçon souvenez-vous bien,

Celui qui ne tente rien n’a rien »

Par Thibaud Leplat

L’interview originale en catalan

C’est ce qui fait que tout tourne rond

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