Le roi David (Pujadas)

Il faut savoir rendre les hommages à son roi.

Que ferait David Pujadas à ma place ? Je me pose souvent cette question quand la vie me présente des impasses desquelles je ne parviens pas à sortir. Je l’imagine le sourcil velu, l’oeil réprobateur et le ton grave. Je vois le roi David le torse bombé, stylo d’instituteur menaçant en guise de fronde pointée dans ma direction. J’entends des roulements de tambour (je souligne quand il souligne) : « on le sait ce sont les jeunes qui sont les premiers concernés: CDD mais aussi petits boulots, intérims et souvent chômage. À quoi ressemble la vie de cette jeune génération qui vit souvent ses premiers pas professionnels dans ce qu’on appelle …la précarité ? Regardez le carnet de route de Laurent Débonnaire ». Dans mes rêves je m’imagine qu’une équipe de télévision frappe ensuite à ma porte et que la France me verrait bafouiller en direct au moment d’expliquer mon métier.

-Je suis écrivain… enfin journaliste. Pas vraiment. Journaliste sportif. Euh… non en fait je suis écrivain sportif.

Ce genre de chuchotis est inaudible de la ménagère. La garantie d’être de tous les micro-trottoirs c’est un sonore de 20 secondes et une seule idée simple.

– Monsieur parlez-nous clairement. Vous êtes au chômage depuis combien de temps ?

– Euh… disons que je suis écrivain, pas vraiment chômeur.

David en a vu d’autres et ne se laisse jamais démonter par un invité si peu disert. Il sait comment s’y prendre pour obtenir de lui ce qu’il veut. Je l’avais vu à l’oeuvre quelques heures auparavant avec Bernard Cazeneuve. Le Ministre de l’Interieur avait fait preuve d’une élégante pondération dans ses propos. Il était même parvenu à répéter « menace protéiforme » à plusieurs reprises et à une heure de grande écoute sans qu’on lui coupe le micro.

Mais le roi David Pujadas agitait ses petits bras pour éviter que le téléspectateur distrait ne s’endorment dans son escalope de veau. L’opiniâtre journaliste était finalement parvenu à surprendre le ministre et interrompre la syntaxe ronronnante de cet invité trop prudent. « Quand vous disiez ‘il ne fait pas de doute qu’il y aura un nouvel attentat à un certain moment’, la… seule interrogation c’est de savoir quand ? ». Oui quand, où, à quelle heure ! Répondez Bernard Cazeneuve !

David Pujadas sait parler à mon cerveau reptilien. Il sait mes angoisses d’insécurité. Il connaît le secret de mon inconséquence. Il sait que j’aimerais que mon ministre éradique de mon existence et une bonne fois pour toutes le hasard, la mauvaise rencontre, le mauvais moment. Tout ce que je me sens incapable d’atteindre par moi-même – la prudence et la sécurité – je l’exige de mon téléviseur. Protège-moi de l’imprévu, je te paierai en liberté.

En me regardant dans les yeux au moment de dire « ce qui inquiète sans doute les Français ce soir », je ne fais plus partie à cet instant que d’un seul et même troupeau.

– Des complices de ceux qui ont participé aux attentats du 13 novembre sont, on le sait, toujours en liberté aujourd’hui, est-ce que la principale menace, elle vient de ?

Les loups rôdent et David est mon berger.

Alors dans mon rêve quand il s’agit de répondre à mon tour à ses questions, je m’effondre. Devant les Français je me mets à faire pénitence et confesse enfin mes pêchés.

– Est-ce que, au fond monsieur, vous vous rendez compte que depuis dix ans vous vivez au-dessus de vos moyens et refusez obstinément de sortir de la… précarité ?

– Oui, c’est vrai. J’ai peut-être un peu exagéré.

– Monsieur Leplat répondez aux Français, êtes-vous prêts oui ou non à vous mettre au travail ? N’est-il pas temps à votre âge d’être enfin adulte ?

C’est toujours à cet instant que je me réveille en hurlant. Et me remets à écrire.

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