De la formation au métier de père.
On ne prépare pas les hommes à accoucher. Alors quand dans la salle d’attente du gynécologue (avertissement : quand sa femme est enceinte, l’homme aussi va chez le gynéco) je vis une affichette rose pâle accrochée au mur annonçant des cours de formation intitulés « Séances futurs pères » et sous-titrée « les réponses aux questions que les futurs pères se posent », je cédai à mon attirance pour les solutions-miracles à toutes les énigmes de l’existence (du maillot qui fait gagner tous les matchs jusqu’au manuel de bricolage qui accroche lui-même les étagères) et m’inscrivis avec satisfaction à une UV dont l’objet d’étude, après des années perdues à assister à des enseignements aussi indispensables que « Euromanagement », « Espace mondial » ou « métaphysique contemporaine », me semblait investie d’une indéniable portée pratique : devenir père.
Une sage-femme homme – dans le milieu on dit un maïeuticien (en langage platonicien c’est la métaphore exacte du philosophe, l’homme qui nous fait accoucher de la vérité) – donc ce maïeuticien enseigna aux quelques hommes présents (dont l’un était venu avec sa femme ce qui attira sur lui l’inévitable suspicion des autres qui espéraient comme moi secrètement que cette soirée se termine dans un bar à strip-tease ou à défaut dans un pub irlandais et une rediffusion de Jour de foot), donc ce monsieur nous prépara à des choses aussi essentielles le jour de l’accouchement que l’emplacement exact du bouton extérieur ouvrant la porte principale de la maternité, les heures d’ouverture du parking devant la clinique et le prix d’un lit supplémentaire s’il était trop difficile pour la famille nouvellement constituée de se séparer pour la première nuit.
Ainsi pendant trois heures nous révisâmes pudiquement le plan d’accès jusqu’à la colline au sommet de laquelle trône cette clinique, apprîmes à mesurer la régularité des contractions décisives (45 secondes toutes les cinq minutes pendant deux heures, j’ai bien retenu la leçon) et même à faire quelques dérapages contrôlés devant l’entrée de la maternité. J’étais venu apprendre à être père, j’en étais sorti chauffeur VTC (faites-moi d’ailleurs penser à ne pas oublier de constituer dès aujourd’hui mon stock de bouteilles d’eau fraîche).
Théoriquement, donc, je suis prêt. Même quand le maïeuticien évoqua la mise au monde, je sus rester impassible :
– Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes absolument pas obligés d’assister à l’accouchement. Vous êtes libres.
Puis se reprenant, j’entendis tout à coup pointer la secrète pression sociale et les présupposés moraux sur laquelle cette proposition repose inévitablement.
– Il y a une époque où c’était encore exceptionnel pour les papas d’assister à l’accouchement (dans les formations pour parents on dit « les papas » et « les mamans », nous y reviendrons). Aujourd’hui c’est le contraire. C’est rare de ne pas y assister. Mais vraiment, faites comme vous voulez…
On sous-estime l’impact de ce genre de recommandations sur un cerveau masculin. L’homme (masculin) n’a pas pour première vocation de nager à contre-courant. Depuis l’adolescence nous cultivons un certain orgueil à vivre en meute, à brailler en troupeau, à nous déplacer en garnisons. Or, si tous les autres assistaient à l’accouchement, comment se soustraire à cette liturgie sans attirer sur sa virilité la suspicion de nos semblables qui ne manqueraient pas, le jour venu, de nous interroger ? Hors de question de me tenir à l’écart. J’en serai. En toutes circonstances, il faut savoir rester philosophe.