Le Mondial en silence

De la sensation d’être père, mais pas encore, pas tout de suite, pas tout à fait.

– Un accouchement est un acte très fort pour une femme, c’est une infraction psychique. Elle peut tout à coup se mettre à crier, à vous insulter, vous pourriez même ne pas la reconnaître.

C’est effrayant ce qu’on raconte aux hommes dans les formations pour parents.

– Ne vous inquiétez pas, c’est normal. Contentez-vous de lui tenir la main et surtout bien sûr, ne vous énervez pas…

Quand on est comme moi d’un naturel susceptible à tendance paranoïaque, on fait mine de recevoir ce genre de recommandation avec philosophie. On acquiesce, on plaisante même, croyant ainsi dissimuler notre angoisse sous les traits d’un humour franchement contestable. Mais au fond, on sait. Il va falloir beaucoup d’effort et de patience pour ne pas prendre chaque « ferme-la ! » ou autre « arrête de me dire ce que je dois faire ! » comme une attaque scientifiquement adressée contre notre dignité.

Depuis huit mois et trois-quarts, afin d’éviter de nous gâcher le plus beau jour de notre vie (et de fournir au corps médical un inépuisable sujet d’étonnement ou de plaisanterie), je me prépare dans le secret de mes carnets de notes, à endurer sans broncher les insultes les plus abjectes. Je répète mon texte plein de trac comme un jeune comédien avant son entrée en scène.

– Voilà, prends ma main ma chérie

– Tu m’emmerdes avec ta main

Elle, poussant.

– Fais-moi de l’air plutôt.

Le brumisateur à la main j’asperge alors son visage déformé de douleurs.

– C’est bien ma chérie, respire, respire…

– De l’air, je t’ai dit, pas de l’eau !

Je ne me vexe pas. Je ne me vexe pas. Je ne vexe pas.

Ne pas être trop sensible, être parfaitement détendu à l’instant où ma femme hurlera de douleur, où des dames en blouse se pencheront sur le col de son utérus avec intérêt, rester parfaitement calme quand je verrai pointer le crâne de mon enfant, n’être alors absolument pris d’aucun spasme, hurlement de joie, d’aucune crise de rire ou de larmes, rester digne, ne pas être ridicule, être à la hauteur de l’évènement.

Être un homme.

Être un père.

On prépare les hommes à l’accouchement de leurs femmes comme on demanderait à des footballeurs d’être champions du monde en silence.

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