A la recherche de Cristiano (traduction)

par Jorge Valdano

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El Pais, 15 septembre 2018

L’absence de l’attaquant portugais se fait à ce point ressentir qu’on ne cesse de le voir là où il n’est plus.

VAR : le football avec préservatif. Pour moi le football est comme un jeu sauvage où la technologie n’a pas sa place et, par pure cohérence, j’examine donc la VAR comme un intrus qui nous dirait des vérités à contretemps. Avoir raison trop tard est peut-être inopportun, certes, mais c’est juste. Comme il est mal élevé de parler contre la justice, par pure incohérence, je me joins à contrecœur aux applaudissements qui lui ont été adressés lors des premières journées de Liga. Erreurs mises à part, car il y en a toujours, la VAR a mis un terme aux suspicions des complotistes qui regardent l’arbitre comme un colis suspect. Le sentiment de justice et de paix social qui règnent après une décision du comité arbitral ne sont pas des questions de seconde importance, néanmoins elles enlèvent au football de son explosivité spontanée, qui est à mon sens une partie intégrante de sa nature. Ce jeu « sauvage et sentimental », ainsi défini par l’infaillible Javier Marías, nous force peu à peu à nous civiliser au prix de devoir maintenant crier « but ! » une minute après le but.

La VAR est faite pour être transgressée. Comme le code moral du football comporte beaucoup de malice accumulée, ma modeste contribution à cette révolution purificatrice prendra la forme d’un avertissement. Comme la VAR examine avec beaucoup d’attention la surface de réparation, le reste du terrain a perdu de son importance disciplinaire. Si à l’intérieur de la surface on est facilement condamné à mort, à l’extérieur, un avertissement peut suffire. C’est ainsi que vont progresser les fautes tactiques, ces mêmes fautes, comble du cynisme, qu’on appelle « fautes intelligentes ». La chose est ainsi faite : il faut presser à la perte du ballon et si on ne le récupère pas dans l’instant, chercher une faute. On demande alors pardon au rival blessé comme si le coup de pied porté n’avait été qu’un accident non prémédité, on écoute le sermon de l’arbitre avec un air de remords et on peut ainsi poursuivre le jeu avec l’équipe ainsi sanctionnée parfaitement en place derrière la ligne du ballon. Avec un peu de chance, en deuxième mi-temps l’arbitre, lassé de palabres, sortira un carton. Si vous décidez de vous prendre au sérieux dans les surfaces de réparation, n’oubliez pas d’être exigeant sur tout le reste du terrain sinon les entraîneurs les plus pragmatiques et les joueurs les plus habiles vont commencer à vous asséner quelques coups de pied préventifs. Le football est monté en continu et on ne saura jamais combien de buts ont été évités grâce à quelques fautes apparemment anodines au milieu de terrain.

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Paralyse d’analyse. Le nombre d’arbitres augmente, augmente encore plus vite la taille des staffs techniques. Si l’on additionne entraîneurs, préparateurs physiques, psychologues, nutritionnistes, kinés et analystes du jeu et du rival, ce nombre dépasse déjà celui des joueurs. Ces derniers jours, Jürgen Klopp a surpris tout le monde en embauchant un entraîneurs pour les touches. Le spécialiste en question s’appelle Thomas Gronnemark, il est danois et a détecté 25 manières de s’y prendre au moment de réaliser une touche. Si l’on parle un peu avec lui, on terminera certainement par croire que le football est un sport qui se joue avec les mains. Car chaque collaborateur, dans son domaine, se sent très important. Et c’est certainement le cas, compte tenu du fait qu’il apporte des informations. Mais Internet nous a d’ores et déjà appris qu’une chose est l’information et qu’une autre est le tri adéquat. Je crois à ce titre que nous courrons actuellement le risque de sur-analyser le football. Ce risque consiste à exagérer l’importance des détailles convertissant ainsi le secondaire en essentiel. 

Grands mystères. Cristiano Ronaldo a laissé un vide énorme au Real Madrid, en Liga, en Espagne… Son absence se fait à ce point ressentir qu’on ne cesse de le voir là où il n’est plus. Tant au Bernabéu qu’à une cérémonie de remise de prix ou un journal télévisé. On le cherche mais on ne le trouve pas. Le début du mystère consiste à convertir l’absence en présence et cela aurait dû nous arriver avec ses buts et son charisme médiatique. Mais le mystère du Real Madrid est plus grand encore que celui de Cristiano. Ce faisant, il aura donc suffi de trois matchs pour que Benzema et Bale se chargent de ses buts et Modric de ses trophées individuels. Il s’agit de changer l’absence en oubli, mais trois matchs c’est trop peu pour considérer ce problème comme résolu. Parce que le mystère contre lequel ne peuvent lutter ni Cristiano ni le Real s’appelle le football et celui-ci n’a pas encore dicté sa sentence définitive. 

 

Traduction : Thibaud Leplat

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