La table d’Asensio (traduction)

par Jorge Valdano

Tiré de « El juego infinito » (le jeu infini), chronique hebdomadaire dans El Pais

Pour que le joueur du Real soit vraiment un crack, il lui manque une chose: se sentir crack.

Sans titre

Lumières de Champions

La Champions n’en finit pas de grandir. Lumières de néons qui éclairent un tournoi millionaire et prestigieux auprès duquel les grands clubs et les grands joueurs cherchent la gloire et l’argent. Je ne voudrais pas gâcher la fête, mais cette compétition provoquera toutes les injustices qui accompagnent la mondialisation: une poignée de riches visibles et beaucoup de pauvres invisibles. Parce que, tôt ou tard, la Champions prendra possession de nos week-ends, reléguant les championnats nationaux aux mercredis. Imaginez alors les désastreuses conséquences économiques. Cette année, le vainqueur pourrait emporter la bagatelle de 130 millions d’euros soit plus du double du budget de 70% des clubs de Liga. Tandis que les lumières nous éblouissent, le football se dépopularise.

Avec une dose d’ego

Le footballeur vit d’un jeu, ce qui lui donne le privilège de prolonger l’enfance. Mais c’est parce que le football est une affaire d’adultes que je hais les comportements enfantins. C’est faux de faire remonter tous les problèmes au berceau, l’apprentissage est fondamental. MBappé me fascine, ainsi que cette supériorité qui lui permet de jouer des ballons qui me semblent impossible à atteindre. À vitesse maximale, ses neurones se mettent d’accord pour feinter, freiner et obéir au ballon. Mais il se trompe lorsqu’il entend démontrer, à chaque fois qu’il touche le ballon, qu’il est différent de tous les autres. Il touche plus souvent le ballon avec le talon que l’intérieur du pied, lève les bras pour le réclamer comme si ses coéquipiers étaient ses employés et tente des petits ponts au bord de sa propre surface de réparation. C’est ce qu’il a fait à la 92ème minute de son match contre Liverpool, perdant ainsi un ballon qui a coûté la victoire au Paris-Saint-Germain. Ça peut arriver. Comme il est en âge d’apprendre, je lui conseillerais d’imiter la sobriété de Messi, qui elle-même accroît son génie et non la frivolité de Neymar l’éloignant chaque jour un peu plus de Messi. 

Le jeu des chaises musicales

Le virus MBappé a attaqué Griezmann (n’attaquerait-il que les champions du monde ?) mais il n’en montre les symptômes qu’en-dehors des terrains. Il s’agit d’un des joueurs les plus intelligents et les plus doués du moment. Cette semaine il a raconté au journal As qu’il pouvait désormais s’assoir à la table de Messi et Cristiano. Mais problème: personne ne l’a invité. Les responsables du protocole ce sont les centaines de millions d’amateurs, ce sont eux qui montent les différentes tables. Peu importe qu’ils s’y connaissent ou non en football parce que pour découvrir un joueur « hors-norme » n’importe quel degré de connaissance est utile. Griezmann dîne parmi les grands, mais qu’il ne se trompe pas : à la table de Cristiano et Messi il n’y a plus de place pour d’autres chaises.

Naître ou ne pas naître crack

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Comme j’adore me contredire, cet article prétend donc rendre hommage au grand Asensio, joueur d’une pureté technique merveilleuse qui ajoute un peu de danger à chacun des ballons qu’il touche. Il le contrôle comme quelqu’un écraserait une mouche contre une vitre, semble plus rapide avec le ballon dans les pieds que sans lui, ses centres tendus cherchent toujours une tête en particulier et ses tirs sont des missiles intelligents qui pensent avant le gardien. Les entraîneurs en font un titulaire, les journalistes des éloges et les amateurs, témoignage de confiance par excellence, souhaitent que le ballon lui parvienne. Mais pour qu’il soit vraiment un crack, il manque encore quelque chose : qu’il pense qu’il en est un, de crack. Qu’il secoue cette timidité de second rôle et prenne le pouvoir. Un joueur de cette catégorie n’est pas ici pour jouer un match, mais pour le gagner. Et quand il rentrera tranquillement à la maison, ses admirateurs se chargeront de lui trouver une table à laquelle l’assoir. 

article original :  El Pais le 22 septembre 2018

Traduction : Thibaud Leplat

2 réflexions au sujet de “La table d’Asensio (traduction)”

  1. Bonjour,

    Selon moi, Marco Asensio devra continuer à travailler pour devenir l’un des meilleurs joueurs du monde.

    La tâche s’annonce toutefois rude pour lui au Real Madrid… surtout avec l’arrivée d’Eden Hazard.

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