« Hazard préfère donner une dernière passe à marquer un but » C. Puel (traduction, suite) part 2/2.

Voici la suite de l’entretien de Claude Puel réalisé par Diego Torres et publié dans El Pais (31/05/2019)

 

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Quand un avant-centre n’est pas en communion avec le jeu élaboré par ailleurs les mêmes distorsions se produisent-elles ? Que pensez-vous de l’inclusion de Diego Costa dans la sélection espagnole ?

Il faudrait utiliser Costa d’une manière différente. En contre. Moi par exemple, à Leicester, j’ai eu problème avec Vardy. Vardy balle au pied n’était pas très bon. Il jouait la profondeur, à une ou deux touches de balle, se démarquait et frappait. Pour faire tout cela, il était très habile. Mais pour décrocher, descendre et construire, il était techniquement trop insuffisamment doté et avait tendance à bloquer la circulation de ballon. 

Vardy, c’est l’un des meilleurs joueurs de Premier League pour se démarquer. Pourquoi est-il si important qu’un joueur descende au milieu pour construire ?

Il a été champion d’Angleterre avec Leicester en jouant en contre-attaque, les deuxièmes ballons. Mais quand les équipes ont compris le truc et lui ont supprimé les espaces devant lui, ses problèmes ont commencé. Vardy est un joueur qui va systématiquement dans l’espace mais qui, quand les défenses se referment, ne parvient pas à trouver les espaces si facilement dans le dos des centraux. Il devrait davantage combiner. Mais avec lui c’était impossible. On a développé une idée différente pour pouvoir malgré tout progresser. On a mis en avant de jeunes joueurs talentueux dans toutes les positions. Aujourd’hui, Leicester est une des équipes qui a la moyenne d’âge la plus basse de toute la Premier League et dont la marge de progression est la plus intéressante. Mais j’ai travaillé là-bas dans l’incompréhension générale. C’est un climat traditionnel, de l’ancienne école. J’ai dû me confronter à des vétérans qui voulaient insister sur le style de jeu qui les avait fait gagner un titre. Moi je voulais tourner la page parce que recommencer ce même modèle de succès était impossible. Il fallait reprogrammer l’équipe avec des joueurs des sélections anglaise U19 et U21.

Si vous deviez choisir une qualité indispensable pour un avant-centre et un gardien laquelle choisiriez-vous ?

Le problème du gardien est le même que celui du 9. Ils doivent tous les deux être très forts mentalement parce qu’ils sont seuls. Si le gardien commet une erreur et qu’il prend un but il est immédiatement exposé. Si un attaquant manque un but, lui non plus ne peut pas se cacher. Les autres joueurs peuvent s’appuyer sur le collectif. La première qualité des gardiens c’est donc de savoir gérer la pression. Hugo Lloris était très fort mentalement quand il était jeune. Quand il est arrivé à Lyon il avait encore de nombreux petits progrès à faire. Je voulais notamment qu’il progresse balle au pied parce qu’il était catastrophique quand il s’agissait de sortie le ballon proprement. Je lui ai dit comme ça « je veux que tu améliores cette partie ». Un autre aspect a attiré mon attention. Quand il s’étirait latéralement, son corps n’allait pas directement au ballon mais décrivait comme une courbe dans l’air. Ce mouvement ascendant lui retirait de l’efficacité en lui faisant perdre du temps. Il a eu un excellent préparateur de gardiens : Joël Bats. Bats lui a alors appris des petits trucs pour le faire progresser et a également amélioré ses sorties de balle. Il a énormément travaillé en faisant des exercices de sorties courtes, longues, contrôles. Il n’y a pas de secrets. Il faut répéter, répéter, répéter… Comme en poussins. Répéter jusqu’à ce que les choses deviennent naturelles. Il ne savait pas jouer au football de cette façon. Il a commencé avec moi à Lyon. Et maintenant à Tottenham il sort le ballon avec calme, il a l’air confiant. Avec l’Equipe de France c’est pareil. 

Lloris a fini par gagner un Mondial. Ce potentiel était-il visible dès le début ? 

Lloris a toujours été très bon. C’était évident qu’il avait ce potentiel même si les autres clubs ne le voyaient pas. Personne ne s’intéressait à lui. Les recruteurs cherchaient des gardiens plus grands. Moi j’étais sûr qu’il pourrait faire de grandes choses. N’oublions pas qu’il est recruté par Tottenham comme second gardien. En Angleterre il était regardé avec suspicion parce que là-bas c’est beaucoup de coups francs, coups de pieds arrêtés, centres dans la boîte et des ballons long envoyés de face qui exigent une sortie du gardien en prenant le risque de prendre un coup des attaquants adverses. En Angleterre, les gardiens ne sont pas protégés par les arbitres. C’est difficile pour eux. Mais il y a une autre école. Les gardiens britanniques ne se jettent pas. Ils reculent, se placent, se plantent sur leurs cuisses et attendent. En France ils plongent au sol et attrapent le ballon. Et s’ils peuvent sortir, ils sortent. En Angleterre ils ne sortent presque jamais. Dans le doute, ils préfèrent rester sur leur ligne. Le modèle est différent. Ils préfèrent des gardiens volumineux pour couvrir un maximum d’espace dans le but. Ils n’attaquent pas les ballons, ne sont pas très bons dans leurs sorties, mais occupent l’espace derrière. Dans ce contexte, Lloris reste un peu plus sur sa ligne. Quand il sort, il ne s’avance pas trop. Il est prudent parce que les attaquants commettent beaucoup de fautes qui ne sont pas signalées. Il n’est pas corpulent mais très attentif, très réactif, énormément serein et quand il saute, il va très haut. C’est une manière de compenser. 

Le triomphe de la France durant le Mondial de Russie, à base de jeu direct et de contre-attaques, a provoqué un débat en Espagne. L’ère du football qui avait emmené l’Espagne jusqu’au titre mondial de 2010 est-elle révolue ? Avons-nous commencé une nouvelle ère ?

C’est très facile d’organiser une sélection comme l’Equipe de France pour la placer en bloc bas et contre-attaquer. Mais ceci entraîne des problèmes différents. En France nous avons beaucoup de joueurs génétiquement très puissants sur le plan athlétique. Ce sont la majorité. Il ont de la force, de la vitesse et font des différences physiquement, mais de temps en temps sont limités techniquement. Je vois que dans le championnat de France il y a trop de joueurs limités balle au pied. C’est que nous avons privilégié le physique à la technique. Pour moi, la technique reste le plus important même si le football a aussi une composante physique. C’est un problème pour l’Espagne : il lui manque un peu de force, de taille mais en même temps il ne s’agit pas d’imiter le jeu de cette Equipe de France parce qu’elle n’a pas les joueurs pour pouvoir le faire. Il faut trouver une alternative en se tenant à ce qui a été fait jusqu’à présent. La qualité technique et l’intelligence pour jouer doivent être la base du jeu espagnol. L’Espagne n’a besoin que d’un changement dans les phases de transition, être un peu plus agressifs, plus rapides. Souligner l’importance des intervalles attaque-défense-attaque. Je pense que Guardiola a apporté un grand progrès là-dessus. 

Que voulez-vous dire exactement ?

Quand j’ai dirigé Lyon j’ai joué contre le Barça de Guardiola. J’ai été ébloui par la qualité technique de Messi, Henry, Iniesta, Xavi, Eto’o… Mais ce qui m’a le plus étonné ce n’était pas les passes au millimètre mais plutôt ce qu’ils faisaient quand ils perdaient le ballon. Immédiatement ils faisaient un pressing très agressif. Guardiola a été le premier à faire ça. Maintenant toutes les grandes équipes le font aussi. Mais le Barça de Guardiola a aussi changé un aspect du jeu : lors de sa dernière saison le jeu est devenu trop langoureux. Les joueurs ne faisaient plus les mêmes efforts pour demander le ballon dans l’espace, pour générer plus de transitions rapides. Ce genre de jeu est ce qu’a trouvé Guardiola en Angleterre. Dans son City il a des joueurs qui n’hésitent pas à se déployer rapidement en contre, à provoquer, dribbler, percuter, attaquer les espaces. Ils sont très intenses. En Espagne aussi il y a des des joueurs de ce type. Il faut savoir combiner le toque et l’attaque d’espaces. Il faut savoir conserver la possession et chercher le plus de démarquages possibles dans l’espace avec un minimum de passe. À ce qu’a fait l’Espagne jusqu’à présent, il faut aussi ajouter une évolution dans les transitions. L’Espagne doit conserver sa qualité technique, les joueurs intelligents, les combinaisons. S’ils sont parvenus à gagner une coupe du monde de cette manière c’est précisément parce qu’ils n’ont pas le physique des autres. Mais ce qu’ils ont au niveau de la qualité de jeu, c’est extraordinaire. 

Pogba est-il l’archétype du jouer que promeut la fédération française ?

Si tu as l’opportunité d’avoir des joueurs à la fois techniques et physiques, comme Pogba, c’est idéal. Mais la priorité doit être la technique. Le problème de la France c’est que tous les entraîneurs cherchent des joueurs physiques. Avec un gros volume de jeu, qui courent, qui vont au duel, qui sont rapides et puissants. Je trouve cela assez honteux. En attaque ils cherchent un type de joueur fort, qui pousse le ballon et fasse ainsi tout seul la différence. Même s’il est mauvais balle au pied, si dans la surface il manque des conditions pour se positionner correctement, n’a aucun sang froid…Ils le choisissent quand même parce qu’il est rapide, fort, et remporte des duels. Je ne suis pas d’accord ! Un joueur moins rapide et plus intelligent apportera toujours beaucoup plus. 

La France est l’un des réservoirs les plus plus productifs d’Europe. Comment expliquer l’essor de tant de talents dans une formation privilégiant pourtant le physique ? Est-ce le fruit du hasard  ou d’une méthode ? 

Je pense à MBappé, Dembélé, Coman, Pogba… Dans le temps on jouait dans la rue. Les footballeurs apprenaient à jouer dans la rue. Maintenant c’est moins possible. Je crois qu’il y a beaucoup de joueurs qui ont appris en regardant les pros faire des différences en dribblant. Ils travaillent beaucoup comme ça : ils regardent des joueurs sur Internet et il copient ou adaptent leurs gestes. En France on laisse dribbler. Nous réservons la formation tactique pour plus tard et parfois même trop tard. On perd du temps. En Espagne, les joueurs n’apprennent non pas tant à dribbler qu’à jouer. C’est le jeu qui fait avancer l’équipe. En France c’est l’individu qui est fait la différence. Les entraîneurs ne travaillent pas assez collectivement. C’est un gros problème. Ceci produit des joueurs qui individuellement apportent quelque chose de différent en Europe. 

Qu’est-ce qui a converti à Mbappé à un grand du football à seulement 19 ans ?

Il a mis sa qualité technique au service de son intelligence. Il n’a rien d’un fantastique dribbleur. Il est capable de faire des choses avec le ballon mais rien d’exceptionnel. Neymar est meilleur footballeur pour combiner, Mbappé se déplace mieux. Mais sans ballon il est meilleur que Neymar et plus rapide. Et ce qui le caractérise c’est sa manière de démarrer, de se déplacer. Si on lui met une bonne passe, il est impossible à arrêter. Il a une vitesse de fou et sait en profiter dans des espaces réduits. C’est une chose très difficile à faire. Aujourd’hui on voit beaucoup de défenses pratiquement impénétrables du fait du manque d’espace et pourtant Mbappé est capable de se démarquer dans un tel contexte: il n’a pas besoin de 10-15 mètres. 3 ou 4 mètres lui suffisent pour trouver un trou et ouvrir une bonne ligne de passe. En plus, il a beaucoup progressé cette année face au but. Il est plus froid. Avant il avait tendance à se précipiter et à gâcher quelque occasions. Maintenant quand il se retrouve seul face au gardien, il marque à chaque fois. Nous ne savons pas quelle est sa limite. 

 

Traduction : Thibaud Leplat

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3 réflexions au sujet de “« Hazard préfère donner une dernière passe à marquer un but » C. Puel (traduction, suite) part 2/2.”

  1. Je pense que Jamie Vardy a contribué au succès de Leicester City au fil des années, et ce, malgré son tempérament.

    D’ailleurs, je me souviens encore de cette fameuse victoire des Foxes contre Manchester United en Premier League. C’est lui qui avait inscrit le cinquième but de son équipe.

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