Van Gaal: « Messi et Neymar ne sont pas des joueurs d’équipe » (traduction)

Louis van Gaal : « Messi et Neymar ne sont pas des joueurs d’équipe »

Le successeur de Michels et Cruyff dans la lignée de l’école la plus influente de ces cinquante dernières années analyse la saison de la renaissance du football hollandais. 

Entretien par Diego Torres pour El Pais le 24/06/2019

« Ici le brouillard arrive tout à coup et de nulle part ! » alerte Aloysius Paulus van Gaal tandis qu’il marche sur les dunes de Noordwinjk et, désignant la ligne diffuse de l’horizon, prévient de la violence des phénomènes atmosphériques propres à la Mer du Nord. À 67 ans, l’ex-entraîneur de l’Ajax, du Barça et de Manchester United résiste au temps qui passe avec l’énergie qui avait fait de lui, derrière Michels et Cruyff, le maillon fondamental d’une chaîne de génies venus du pays qui a eu le plus influencé le football contemporain. En 2019, personne n’est plus indiqué pour expliquer la résurgence du football hollandais. Sa réflexion aboutit pourtant toujours au même point : Lionel Messi. 

La Hollande est un pays de peintres, d’artistes. Considérez-vous que votre travail a une dimension artistique ?

Non. 

Mais vous aimez l’ordre, et l’ordre est bien le fondement de tout art.

Je pense que toute équipe a besoin d’une structure dont l’objet est la collaboration entre chacun de ses composants. Le football est un sport d’équipe, pas un sport individuel. En Espagne, à cause de la présence de stars, on oublie parfois cette idée. Je crois que la vedette a l’obligation d’aider l’équipe à gagner. Mais dans le football ce n’est pas très courant. 

Neymar au PSG. Combien de Champions ?

Ne pensez-vous pas que l’automatisation du football est parvenue à un tel point que règne désormais l’esprit de collaboration et qu’un héros individualiste est beaucoup plus impuissant aujourd’hui qu’il y a 20 ans pour résoudre les problèmes ? 

Non, je ne crois pas. Prenez le Barça. Combien de Champions ont-ils gagné tout en comptant dans ses rangs celui qu’on dit être le meilleur joueur du monde ? Prenez Neymar au PSG. Combien de Champions ? J’aime bien Neymar et Messi d’un point de vue individuel mais pas comme joueurs d’équipe. Pour moi, dans un jeu collectif, rien n’est plus important que le joueur d’équipe. 

Quel est le meilleur joueur d’équipe que vous ayez vu cette saison ? 

James Milner. Durant la finale de Champions League il a joué défenseur et milieu de terrain. C’est fantastique de pouvoir offrir ce type de chose à 33 ans. Les attaquants ? Ils jouent tous pour l’équipe. Salah, Firmino et Mané travaillent très dur en défense parce que Klopp veut presser. Il y a quelques mois il a eu une révélation : Klopp a compris que presser n’était pas toujours la choses la plus adéquate. Tout dépend des conditions. Son Dortmund était plus offensif que son Liverpool. Mais à Liverpool il a appris que parfois il valait mieux se replier un peu, rapprocher les lignes pour ensuite contre-attaquer. C’est idéal pour Salah, Mané et Firmino qui sont des joueurs très rapides et capables de profiter des espaces dans le dos de la défense adverse. Le Barça l’a souffert. À mon avis, Messi devrait se poser des questions : comment est-il possible qu’il ne gagne plus la Champions League ? 

Vous étiez sélectionneur des Pays-Bas la dernière fois que Messi a gagné un match important avec l’Argentine durant le mondial 2014.

Mais ils nous ont battu aux tir au but ! Et je n’ai pas beaucoup vu Messi pendant ce match. Collectivement nous avons été meilleurs. 

Vous sous-entendez que le Barça ne gagne plus la Champions du fait de l’individualisme de Messi ?

Je ne suis ni dans le vestiaire ni aux entraînement du Barça. Je ne peux pas me prononcer définitivement. J’aime Messi comme joueur individuel. C’est le meilleur joueur individuel du monde, les statistiques à son sujet sont époustouflantes. Magnifique ! Mais comment se fait-il qu’il n’ait pas gagné la Champions League depuis 5 ans ? Pourquoi ? Comme capitaine, il devrait se demander pourquoi son équipe ne gagne pas au niveau européen. Le Barça a un magnifique effectif. On ne peut pas dire que Rakitic ou Coutinho soient mauvais, qu’Alba soit un joueur mauvais ou que Ter Stegen soit un mauvais gardien, ou Arthur ou Vidal…! Je pense que Messi est lui aussi responsable de ce qui arrive au Barça. L’entraîneur n’est pas le seul responsable. Les joueurs endossent une part substantielle de responsabilité au sujet de ce qu’il se passe sur le terrain. 

Il semblerait que Messi aimerait retrouver Neymar. Qu’en pensez-vous ?

Je me souviens que Neymar était au service de Messi quand il jouait au Barça. Je n’ai rien contre Neymar. C’est un joueur fabuleux mais au PSG il ne joue pas pour l’équipe. Moi je pense que tous les joueurs doivent jouer pour l’équipe. Messi y compris. 

C’est à Messi de s’adapter à l’équipe et non l’inverse.

Vous pensez que le Barça manque d’une structure adéquate ? 

C’est l’impression que j’ai même si je ne peux pas juger. Ils ont un effectif de 30 joueurs. C’est à Messi de s’adapter à l’équipe et non l’inverse. Guardiola le faisait jouer pour le bénéfice de l’équipe mais les entraîneurs qui lui ont succédé ont eu tendance à s’adapter un peu trop à Messi au lieu de protéger l’esprit de l’équipe. C’est le plus important. 

Pourquoi les grandes révolutions tactiques de ces cinquante dernière années viennent-elles de Hollande ? L’Ajax de 2019 a fait des choses qu’on ne voyait plus depuis longtemps. 

Le Barça faisait ce qu’a fait cet Ajax parce que Messi est capable de dribbler dans des espaces réduits peu importe le nombre de joueurs qui l’entourent. Seul Messi est capable de jouer ainsi. Coutinho, Busquets, Dembélé, Roberto et Alba sont aussi des joueurs créatifs dans ce registre. L’Ajax avait Zieych, Tadic, Neres, De Jong et Blind qui sont des joueurs très créatifs sont capables de manœuvrer en espaces réduits. Mais ils le font dans leur pays, et ce n’est pas le plus haut niveau. Le plus haut niveau c’est la Champions et à ce niveau il faut se méfier de la qualité des adversaires. Voilà pourquoi le Barça a perdu 4-0 contre Liverpool. S’il y a un véritable esprit d’équipe, au plus haut niveau, un tel résultat est impossible. C’est inconcevable que même en Champions le Barça, compte tenu des joueurs qu’il possède, puisse perde par une telle différence. 

Ne trouvez-vous pas que la dynamique de cet Ajax est réellement nouvelle ? Quand Pochettino a vu les changement de position continus il a dit qu’on était face à des joueurs irresponsables. Cette mobilité est-elle le fruit d’une planification ou correspond-elle au caractère des individus ? 

Il est évident que l’on dépend toujours de la qualité et du caractère des joueurs. Toujours ! En tant qu’entraîneur il faut opérer une adaptation. C’est l’art de Ten Hag. Pochettino n’est pas dévoyé c’est seulement qu’il pense encore selon les structures d’il y a 5 ans. Je crois qu’à l’Ajax aussi il y a des structures. L’Ajax a toujours joué comme cela, mais peut-être de forme un peu moins chaotique. Ce phénomène provient des joueurs. Ten Hag les autorise à attaquer avec un tel chaos mais au moment de perdre le ballon la chaos se dissipe parce que tous savent exactement ce qu’ils doivent faire. Ce genre de situation se produit constamment dans le football d’aujourd’hui parce qu’il est beaucoup plus défensif que par le passé. Ce n’est pas plus beau ! Cela dit cet Ajax est capable de démanteler ce type de défense. C’est un chaos fructueux. Ils ne sont pas si fous qu’ils en ont l’air et sont parvenus à équilibrer à la perte de balle. Ils ont l’antidote au chaos. 

C’est un chaos fructueux. Ils ne sont pas si fous qu’ils en ont l’air et sont parvenus à équilibrer à la perte de balle. Ils ont l’antidote au chaos.

L’antidote c’est De Ligt ?

De Ligt et De Jong sont l’antidote. De Jong peut défendre parfaitement bien. Mais le grand antidote c’est l’orientation de l’équipe à la perte de balle. Le talent défensif naturel ne suffit pas à compenser un déséquilibre entre attaque et défense. 

Quel est le plus important : l’esprit de l’équipe ou la tactique ?

La tactique. Mais tu ne peux réaliser ton idée tactique que si tu as un esprit d’équipe. Évidemment que Messi jouira des bénéfice de Messi, mais à la fin c’est la meilleure équipe qui gagnera. Cette année on en a encore eu la preuve. 

Vous avez vu entraîner Rinus Michels, quelle a été sa création la plus importante ?

Le principe du football total. L’idée tactique selon laquelle tous doivent défendre et attaquer. Il est parvenu à le réaliser avec des spécialistes de chaque poste. Avec des défenseurs corpulents et de grande taille comme Blankenburg, Hulshoff ou Vasovic; des milieux de terrain purs comme Neeskens ou Haan et des attaquants spécialisé comme Keizer, Cruyff ou Swart. L’idée c’était : football total avec des spécialistes. Telle était la structure qu’il avait en tête. Plus tard, Cruyff y a ajouté plus de flexibilité. Il a joué avec un faux neuf et fait de Koeman, milieu de terrain de formation, un défenseur. Cruyff voulait créer depuis l’arrière. A côté de Koeman, conformément à l’idée de Michels, il a placé Alexanco ou Nadal, des types costauds. Toujours un spécialiste ! Et alors est arrivé Van Gaal qui s’est mis à jouer avec deux défenseurs centraux dont la principale qualité était la relance, deux koemans. J’ai gagné la coupe de l’UEFA 1992 avec Danny Blind et Win Jonk, un latéral offensif et un milieu de terrain qui jouaient en défense. 

Quel est le rôle du milieu de terrain dans un tel schéma ?

Aujourd’hui les déclencheurs du jeu doivent être les défenseurs centraux et le milieu de terrain le plus défensif. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a de l’espace pour construire qu’à l’arrière. Évidemment qu’au milieu aussi il y a des espaces mais leur utilisation est plus difficile. Frenkie de Jong sait le faire. Il sait créer des supériorités, mais aussi dribbler et accélérer le démarrage de l’action. C’est très important parce qu’éventuellement ce mouvement te permettra d’avoir un joueur en plus de ton rival. C’est quelque chose que j’ai découvert dans les années 90: tu ne peux pas créer des différences qu’avec ton 10 mais aussi avec ton 3 et ton 4 (les défenseurs centraux ndlt). Si tu ne sors proprement qu’avec un seul défenseur comme Cruyff avec Koeman, l’entraîneur adverse peut inventer très facilement une tactique pour bloquer Koeman et obliger des joueurs moins habiles à déclencher l’action comme Nadal ou Alexanco.

Danny Blind, le père de Daley, était à l’origine un milieu intérieur droit. J’ai fait de lui un central parce qu’il avait un magnifique sens de l’orientation. Meilleur même que Busquets. C’était un véritable artiste de l’anticipation.

Quelle est la qualité essentielle du joueur qui doit donner la première passe ?

Danny Blind, le père de Daley, était à l’origine un milieu intérieur droit. J’ai fait de lui un central parce qu’il avait un magnifique sens de l’orientation. Meilleur même que Busquets. C’était un véritable artiste de l’anticipation. Il était capable de faire un premier pas avant même son adversaire réduisant ainsi à néant l’avantage de la rapidité musculaire. Quand tu joues dans l’axe de la défense tu peux courir en diagonale. Mais quand tu cours en diagonale la puissance n’est plus la même d’autant que les attaquants, eux, doivent aller vers le but. Pour un central, s’il ne sait pas anticiper l’action de son rival, il doit savoir se retourner rapidement. Quand tu le vois arriver, tu es retourné avant lui et peux donc intercepter la passe. De Ligt est puissant et rapide. Il sait très bien s’orienter, mais peut-être pas autant que Daley Blind. Un tel sens de l’anticipation c’est dans les gènes !

Pourquoi Michels est-il parvenu à la conclusion que le 4-3-3 était le meilleurs moyen d’occuper les espaces sur le terrain ? 

Je suis d’accord. Mais j’ai découvert que le 3-4-3 pouvait aussi être un meilleur positionnement. À l’Ajax nous  avons déjà joué contre 2 attaquants, avec 3 défenseurs, et Koeman l’a fait avec Cruyff au Barça. Mais le Barça ne joue plus comme cela. Ils utilisent un 4-4-2 parce que l’ailier gauche est devenu un intérieur. 

 

Beaucoup d’entraîneurs avec des effectifs exceptionnels écartent néanmoins le 4-3-3 en faveur du 4-4-2 ou du 4-2-3-1 pour se protéger des contre-attaques. 

Évidemment tout dépend de la qualité des joueurs, c’est décisif. Mais Barcelone doit se demander s’ils respectent toujours leur philosophie de jeu. Un club ne peut pas négliger sa culture ! Avec un 4-3-3 tu peux défendre facilement. L’Ajax et le Barça y sont parvenus avec Michels, Cruyff, Van Gaal, Guardiola et même Luis Enrique, au début. Mais il faut un esprit d’équipe pour le mener correctement à bien. Chaque joueur doit remplir sa tâche. Et ce n’est actuellement pas le cas au Barça. 

Les attaquants sont-ils responsables ? 

Non ! Mais quand tu pers le ballon, tu dois faire le boulot. Ten Hag a entraîné ses attaquants à attaquer de manière chaotique tout en pensant de manière structurée à la perte de balle. Après la perte il avancent tous de manière coordonnée vers le ballon et le récupèrent en 5 secondes. Barcelone faisait la même chose il y a 5 ans. Le 4-3-3 est le meilleur modèle pour attaquer et pour défendre. Mais il doit être appliqué aux 11 joueurs. Même le gardien doit participer au jeu pour défendre. Si tu avances dans le camp adverse c’est lui qui doit s’occuper de l’espace énorme laissé dans le dos de sa charnière. Tous les gardiens ne savent pas forcément le faire. Il faut en effet un bon sens de l’anticipation et un bon jeu au pied. Dans le modèle de l’Ajax du dépends un peu plus de la qualité des joueurs. 

Si l’on veut créer une équipe sur la base d’un 4-3-3, quel joueur  est le plus important ?

Ils sont tous importants à condition de présenter les qualités nécessaires pour chaque poste. Chaque position suppose un profil. Mais en tant qu’entraîneur tu dois imaginer une structure qui s’adapter à tes joueurs et il n’est pas toujours possible de développer un 4-3-3. Compte tenu des qualités de mon équipe lors du Mondial 2014, nous avons battu l’Espagne 5-1 avec un 3-4-3 qui se transformait en 5-3-2 en défense. Ce schéma couvre très bien le terrain à condition que les latéraux sachent agir tantôt comme des latéraux, tantôt comme des milieux, tantôt comme des ailiers en fonction de la situation de jeu. C’était le meilleur moyen d’utiliser Sneijder comme 10 libre devant, tout en formant une ligne de 4 à plat au milieu avec De Jong et Wijnaldum au centre, Blind et Janmat à l’extérieur. L’occupation du terrain était parfaite parce que, pour une question physique, il est plus facile de défendre à 4 au milieu qu’à 3. On bascule beaucoup mieux. Même pour presser les centraux adverses: nous les pressions avec les deux attaquants de pointe tandis que les latéraux pressaient les latéraux adverses. Mais attention : ce 3-4-3 ne peut se développer correctement que si tu as du cran. Et tous les entraîneurs n’en ont pas. 

Attention : ce 3-4-3 ne peut se développer correctement que si tu as du cran. Et tous les entraîneurs n’en ont pas.

Pourquoi ? 

Parce qu’il faut que les latéraux jouent comme des ailiers. Sinon ton 3-4-3 devient un 5-3-2.

N’est-ce pas plus difficile de trouver les lignes de passe avec 4 milieux de terrain qu’avec 3 milieux intérieurs ? Une fois que le ballon est récupéré par ce 5-3-2 ou 3-4-3, comment parvenir à construire avec fluidité à partir d’une ligne de 4 milieux de terrain à plat ? 

A l’aide de profils différents. De Jong était le référent et Wijnaldum aimait se déplacer vers l’avant pour se placer entre les lignes et créer des options de passe. Tu ne peux pas attaquer correctement sans auparavant casser la ligne de 4. La première règle de n’importe quel schéma c’est de parvenir à la plus large amplitude possible avec le ballon et se rétracter sans lui. Contre l’Espagne Sneijder nous a aidé en défense et avec Roben et Van Persie devant, nous formions un 5-3-2. On a gagné 5-1 ! Le seul but espagnol est un pénalty douteux. 

Ce match marque la fin de l’âge d’or espagnol. Selon vous, pourquoi la sélection ne parvient-elle plus à sortir la tête de l’eau ? 

C’est incompréhensible. J’adore le football espagnol. Les joueurs on tout. Ce n’est pas un problème de qualité ou de condition technique. La seule chose sur laquelle je ne peux pas prononcer concerne leur personnalité. Et c’est très important. Pour bien jouer au football, il faut jouer en équipe et nous visons dans une société conçue par des gens qui ne pensent qu’à eux-mêmes sans jamais s’intéresser à leur prochain. Les conditions de vie ont changé. Les ordinateurs, voilà la grande différence sociale du siècle. J’ai grandi avec mon père, ma mère, mes frères, mes sœurs, l’école et le curé. Rien de plus. Communiquer entre nous était une nécessité. Aujourd’hui tu peux vivre seul avec ton ordinateur. Avec lui et personne d’autre. Du coup tu te demandes ‘que puis-je faire dans ce monde ?’ C’est la seule chose qui t’intéresse. Cet isolement s’est installé dans la société. Pourtant le football continue à être un sport d’équipe, pas un sport individuel. En tant qu’institution, que club, qu’entraîneur, ta mission est de trouver un antidote à la réalité que nous sommes en train de créer. Qu’est-ce qu’il y avait comme vie sociale quand je suis arrivé en Espagne en 1997 ! Il y avait des ordinateurs mais seuls quelques initiés les utilisaient. La mode c’était le zapping. Tu regardais TV3, tu changeais en une seconde, TVE, une seconde, Telemadrid. C’est comme cela que nous avons perdu notre capacité de concentration. J’ai dû faire appel à des antidotes: la sophrologie, la psychologie, la visualisation…

L’Ajax a joué ses meilleurs matchs avec Tadic positionné en faux 9. Le jour où Dolberg était à nouveau titulaire comme 9 pur, sa présence coïncide avec la défaite et l’élimination contre Tottenham. Le 9 est-il une figure en crise ?

Quand il était joueur, Cruyff a souvent occupé cette fonction de faux 9. En tant qu’entraîneur il a introduit la même idée à ses équipes. Il faisait les mêmes mouvements que Tadic. La clé c’est Van de Beek qui court en direction de la surface quand, en même temps, Tadic descend en appui. Il partagent leurs postes. Pour jouer avec un faux 9 comme Tadic il faut un Van de Beek au milieu. Voilà pourquoi Van de Beek a commencé comme remplaçant: quand l’Ajax jouait avec Dolberg, qui ne sort pas de la surface, il avait besoin de passes décisives. Or, ce n’est pas le profil de Van de Beek. Les deux joueurs se marchaient dessus. Les permutations désorientent les centraux mais rien de nouveau. Puskas le faisait déjà avec la Hongrie et Di Stefano avec le Real. Leurs coéquipiers se projetaient dans la zone laissée libre grâce à leur mouvement. Pour parvenir à une telle harmonie, tout le monde doit se mettre d’accord. Cette tâche incombe à l’entraîneur, elle fait partie de sa structure artistique. Quand Tadic, Van de Beek, Ziyech et Neres permutaient, l’équilibre de l’équipe n’était pas en danger parce que tous savaient qu’à la perte de balle, ils presseraient en même temps. 

La Premier League est-elle le championnat le plus compétitif ?

Oui, mais ce n’est pas à cause des joueurs. En dépit des transferts, les meilleurs ne jouent pas tous en Premier League parce que la philosophie espagnole est de former des joueurs pour pouvoir les utiliser. Comte tenu de leurs puissance financière, les clubs anglais se contentent d’acheter. Mais acheter des joueurs comporte un risque dans l’adaptation. Tactiquement et techniquement, la Liga est meilleure. Mais la Premier est plus compétitive. La pression sur le ballon se fait plus haut sur le terrain qu’en Espagne. 

Comment analysez-vous l’expérience PSG ?

Il n’ont pas l’esprit d’équipe adéquat. C’est évident. Je les ai vu au Parc des Princes le jour de leur victoire 3-0 contre le Bayern en 2017. Je m’en suis rendu compte sur le terrain : les joueurs n’étaient pas en accord avec le style de jeu de Neymar. C’est toujours le cas aujourd’hui. 

Est-ce le manque de mouvements sans ballon qui vous permet de percevoir cette tristesse ? Les bons mouvement sont-ils devenus plus importants dans le football moderne ?

Ils l’ont toujours été. Mais le plus important ce n’est pas le mouvement en tant que tel mais le moment où tu bouges. La majorité des joueurs de haut niveau n’ont pas cette qualité. Il faut interpréter les intentions de ton coéquipier et ceux de ton rival. Beaucoup de lecture en même temps. 

Pourriez-vous nommer un joueur qui le fait bien ?

Salah se déchaînait quand Liverpool se repliait au lieu de presser. Et Van de Beek est la pièce qui complète l’œuvre de Ten Hag. Frenkie de Jong sait très bien aussi se déplacer au moment juste pour se démarquer. Busquets le fait tout le temps. Il anticipe l’espace ouvert par l’adversaire. Et Xavi était encore plus intuitif à l’heure de trouver un espace libre permettant d’accélérer l’action. Busquets passe le ballon au joueur le plus proche mais Xavi était capable de trouver la deuxième ou troisième station dans le développement complet de l’action. Guardiola était aussi de cette espèce, mais Xavi a poussé l’idée encore plus loin. Xavi est l’un des meilleurs footballeurs de tous les temps. 

Xavi est l’un des meilleurs footballeurs de tous les temps.

Quelle est la principale réussite de Guardiola en Angleterre ?

Pratiquer un jeu offensif qui émeuve le public en général. Comme l’Ajax en moins chaotique. City est plus structuré. Pep est un homme structuré, ses joueurs doivent faire ce qu’il a imaginé. Avec Ten Hag, les joueurs peuvent exécuter des choses différentes. A City on ne voit que la main de Guardiola. Gagner tous les titres pendant deux ans tout en jouant un football d’attaque en Angleterre est une réussite unique. C’est plus facile de parvenir à cela en jouant défensif et en contre. Mourinho a gagné de nombreux titres en défendant. Le plus grand défi c’est de réussir à gagner la Champions avec les idées de Guardiola.  

C’est plus difficile de gagner la Champions avec jouant l’offensive ?

Oui. Guardiola l’a gagné avec Barcelone parce qu’il avait Messi et qu’il ne le laissait pas jouer à sa façon. C’est la grande différence. C’est Messi qui s’est ajusté au plan de Guardiola. Et non l’inverse. Guardiola a réussi la chose la plus difficile : que les joueurs se déplacent tous dans la direction adéquate au moment précis. Pour parvenir à cela, tu dois créer un langage, un esprit d’équipe, une communauté. Regardez Agüero. Il a toujours joué pour lui tout seul jusqu’à ce que Guardiola arrive et le change. Aujourd’hui il se déplace toujours au bon moment. Tel est l’art de l’entraînement. 

Entraîneur vous manque-t-il ?

Pas exactement. Ce qui me manque c’est de vivre entouré de jeunes. Ce qui me manque c’est de les voi et de  les défier comme eux aussi ils me défiaient. Maintenant je n’ai quasiment plus que des relations avec des gens de mon âge !

 

Traduction : Thibaud Leplat

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