Puel « créer un bordel organisé » (2016) 2/2

Suite de la conversation avec Claude Puel publiée dans Football à la française chez Solar. Son équipe a changé, ses traits se sont marqués. Les principes sont toujours les mêmes. 

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D’où vient l’idée de mettre en place le 4-4-2 en losange ? Est-ce pour favoriser un jeu de possession ?

Non, ce n’est pas une question de possession. L’idéal pour la possession c’est plutôt le 4-3-3 pour prendre naturellement la largeur et écarter le jeu. On l’a tenté par rapport à un profil de joueur. J’ai testé Hatem sur un côté, mais pour moi c’était le perdre. Il ne rentrait pas dans cette zone là. Donc je me suis dit qu’on pourrait le développer un peu mieux dans l’axe, un nouveau poste pour lui. On a donc testé le 4-4-2 en losange pendant les matchs de préparation. Voilà ce que j’ai dit aux joueurs « ce n’est pas évident parce qu’il y a beaucoup de contraintes avec ce système mais si on arrive à bien le faire ça peut être sympa. »

Mais vous auriez pu aussi travailler en 4-2-3-1 avec Hatem en soutien axial…

Oui mais je savais que Papy Mendy était plus à l’aise tout seul devant la défense. À 2 il a tendance à marcher un peu sur l’autre. J’avais Pléa, qui pouvait être complémentaire avec Hatem et Valère Germain. Ensuite il fallait trois milieux travailleurs, techniques avec un gros volume de jeu à la récupération. La participation des latéraux est du coup aussi très importante dans ce schéma sinon on est mort en contre. Il a fallu donc développer des profils à l’aise avec le ballon, capables de se projeter vite, de centrer vite, avec un gros volume sur le côté. Ricardo Pereira c’était un ailier, Pied c’est un ailier, Hult qui peut jouer là, c’est aussi un ailier, Grégoire (Puel, son fils) pour moi avait ces caractéristiques de pied, de centre et de volume. Ce sont les caractéristiques des joueurs qui comptent. 

Comment gère-t-on ensuite un talent comme Hatem Ben Arfa dans cette organisation. Doit-il être libre ou encadré ?

Il faut insister sur le point fort du joueur et ne pas le brider, qu’il se lâche. Mais si Hatem chez nous arrive à faire des choses, c’est parce qu’il a une structure autour de lui. Il joue simple quand il faut jouer simple mais quand il sent un espace, il peut accélérer dans la verticalité. On peut arriver à inscrire ce genre de joueur dans une récupération collective du ballon, un jeu simple à une ou deux touches tout en gardant et valorisant ce qui fait sa force, son dribble, sa créativité, pour percer les lignes et déstabiliser l’adversaire. Si on lui dit « Hatem fais ce que tu veux », ça va être le foutoir. Il va faire un ou deux trucs bien mais autour de lui on ne va plus savoir quoi faire quand il va lâcher le ballon. Plus personne ne va plus se démarquer ou bouger autour de lui. L’équipe deviendra trop prévisible pour l’adversaire et au final on ne gagnera plus un match. Si Hatem est aussi imprévisible maintenant c’est qu’il est dans le liant et que d’un seul coup, sans qu’on puisse deviner quand, il accélère. Pour moi le jeu c’est ça : créer des trucs au milieu d’une organisation, un bordel organisé.

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Pour moi le jeu c’est ça : créer des trucs au milieu d’une organisation, un bordel organisé.

Avez-vous évolué dans votre manière de voir le jeu depuis que vous avez débuté il y plus de dix ans ? Je pense notamment au rôle du ou des joueurs placés devant la défense.

Avant un milieu défensif pour nous c’était un récupérateur. Très vite j’ai voulu que ce soit un joueur de ballon. À Monaco, j’ai donc fait reculer Sabri Lamouchi devant la défense. Je lui ai mis Costinha ou Djetou à côté. Il a été énorme. Au départ c’était un joueur de piston, c’est devenu un joueur très habile devant la défense, capable de faire repartir le ballon, de trouver la verticalité qui faisait repartir tout le jeu. On a été champion avec Lamouchi reculé d’un cran. Pareil avec Bodmer à Lille, je l’ai fait reculer pour relancer.

Vous l’avez mis juste derrière Odewingue…

Lui on l’avait trouvé à La Louvières. Il s’obstinait à toujours revenir dans son camp. Quand je suis allé le voir en Belgique sur une course tout à coup je l’ai vu décoller. Il volait littéralement, on aurait dit Thierry Henry. Le problème c’est qu’il ne l’utilisait jamais cette qualité. Alors, le dernier jour du mercato, il nous restait une dernière place. On le fait signer à minuit pour 200.000 ou 300.000 euros. Mais Peter était très testa dura, et voulait toujours revenir dans son camp pour toucher le ballon. Moi, je ne le trouvais pas bon dans ce registre. Mon idée était plutôt de le former dans la prise d’espace. Du coup, chaque fois qu’il revenait dans son camp, à l’entraînement je lui sifflais faute. J’ai mis un an et demi à le faire fléchir. Quand j’ai pu le sortir, j’ai mis Bodmer derrière lui pour lui servir des caviars. À la trêve il avait déjà mis 9 buts. Sa valeur a décollé. De 300.000 euros on l’a revendu 6,5 millions en 2007.

Quelle était votre idée avec Papy Mendy à Nice ?

Je trouvais qu’à Monaco il se dispersait beaucoup trop. Il allait couvrir partout l’arrière droit, l’arrière gauche, comme Toulalan, quand je l’ai eu à Lyon. Il courait dans tous les sens et ensuite pendant 5 minutes il mettait les bras sur les hanches et ne servait plus à rien. J’ai dit à Papy quand il est arrivé à Nice « ne te disperse pas, ne cours pas partout, reste devant la défense, tu es la plaque tournante. C’est toi qui doit organiser d’avant en arrière, d’arrière en avant, tu es le numéro 10 devant la défense. » 

C’est le joueur que vous utilisez le plus depuis votre arrivée à Nice. Il a effectivement plus un profil de relanceur que de piston.

Papy est aussi le plus régulier. Il a un niveau de sang froid énorme, a beaucoup progressé dans son contrôle vers l’avant, sa prise d’info ou techniquement pour se sortir des petits périmètres. À un moment donné, il a fallu que je le remette un peu en place parce qu’il n’avait pas la reconnaissance voulue. Du coup il voulait aller marquer, faire des dribbles à droite à gauche, dépasser sa fonction mais ce n’était pas ses qualités. Il n’était pas bon dans ce registre et nous mettait dedans. J’ai dû lui expliquer son rôle de sentinelle. Ça n’empêche pas qu’il puisse marquer de temps en temps mais là où il peut s’éclater, c’est devant la défense, pas en piston. Il est énorme dans ce rôle. Je lui ai dit « ne t’inquiète pas les entraîneurs qui suivent le football te connaissent » alors qu’ici les journalistes locaux le taillaient à tous les matchs parce qu’il n’avait pas marqué ou pas donné de passe décisive. Ils ne voyaient pas le travail d’équilibre qu’il effectuait. Moi ça me rendait malade. Je voyais qu’il était mal parce que jamais bien considéré, toujours dans les plus mauvaise notes, parce qu’un gus pensait connaître le football et pouvoir le noter. Donc il a fallu le rassurer, l’encourager à continuer.

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Il a l’air maintenant plus heureux et plus apprécié du public.

Oui c’est mieux. J’ai voulu qu’il soit capitaine l’année dernière en l’absence de Bodmer et Digard. Je l’ai mis un peu au devant de la scène. J’ai dit publiquement qu’il a le niveau international parce que c’est la vérité. Il a une régularité au haut niveau, il enchaîne les matchs. On a découvert Lassana Diara parce qu’il a joué un match à 21 h le dimanche sur Canal Plus mais Mendy c’est comme ça depuis 3 ans. Il est énorme. Il peut partir maintenant dans n’importe quel club étranger, il tiendra la route. Maintenant il commande, à l’entrainement on l’entend donner de la voix alors qu’avant il ne disait jamais rien. Je lui ai dit « rien qu’avec ta voix tu peux corriger des situations sans dézoner dans tous les sens. »

Avouez que c’est plus difficile de jouer comme ça que de mettre deux lignes de 4 devant sa surface et coulisser pour jouer des contres. Qu’on ne vienne pas me dire que ça c’est compliqué…

L’OGC Nice fait une excellente saison et la qualité de son jeu est loué par l’ensemble des amateurs de football en France. Le problème maintenant, c’est que vous êtes de plus en plus attendu par les adversaires. Quelle est votre réponse dans ce cas ? 

L’adversaire contre nous veut systématiquement nous contrer. Il sait qu’on va avoir une bonne possession. Alors on essaie toujours d’avoir un temps d’avance, de faire des choses qui sortent de l’ordinaire. Certains joueurs ont été engagés pour ça. Seri par exemple qui est capable de regarder à gauche et de faire une passe cachée à droite, Hatem va être capable sur une accélération de faire une différence, Valère dans un trou de souris qui va pouvoir enchaîner, les milieux vont trouver des angles de passes intéressants…Il faut essayer de faire en sorte que les joueurs puissent continuer à lire le jeu adverse pendant qu’ils jouent C’est grâce à cela que notre jeu ne sera pas trop stéréotypé. 

C’est le problème du jeu de possession. Vous êtes toujours condamnés à avoir l’initiative et à inventer. C’est en cela peut-être qu’il est plus difficile.

Non seulement on a le ballon, ce qui demande des déplacements, d’être toujours en alerte, d’offrir des solutions au porteur du ballon et un certain volume physique. Mais il faut aussi être constamment concentré. Si on perd le ballon, il faut être de suite être concerné par la récupération sinon on peut prendre des vents et des contres (sic). Jouer haut ça veut dire qu’on a 50 ou 60 mètres dans notre dos. Avouez que c’est plus difficile de jouer comme ça que de mettre deux lignes de 4 devant sa surface et coulisser pour jouer des contres. Qu’on ne vienne pas me dire que ça c’est compliqué…

 

Propos recueillis par Thibaud Leplat

Lire la première partie de l’entretien

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