(VF – original publié en espagnol dans le Panenka numéro 124)
En 2018, l’ogre Paris-Saint-Germain offrait à l’équipe amateurs des Herbiers une photo légendaire. Thiago Silva et Sébastien Flochon soulevaient ensemble la 101ème coupe de France. Paris l’emportait 2-0 en finale mais c’est bien Les Herbiers qui sont restés dans les mémoires républicaines.
JS Coulaine, Voltigeurs de Châteaubriant, Balma SC, SO Romorantin, Angoulême Charente FC, FC Saint-Lô Manche, AJ Auxerre, RC Lens, FC Chambly et, enfin, Paris-Saint-Germain. Pour le féliciter de leur parcours homérique, Thiago Silva, en seigneur, offre ce 8 mai 2018 (jour de la célébration de la Victoire de 1945) à son homologue des Herbiers, Sébastien Flochon, le privilège de soulever avec lui le trophée républicain. L’image célèbre fera la Une de L’Equipe le lendemain avec ce titre : « Tous vainqueurs ». Un an après l’improbable arrivée de Neymar en France et quelques jours avant le limogeage d’Unai Emery, désigné coupable d’une nouvelle élimination en huitièmes de finale de Ligue des Champions, le PSG jouait le jeu de la mythologie à la française. Il saluait le parcours d’un petit club de national (troisième division) parvenu à se hisser sur les épaules d’un géant. Ce n’est pas du football, c’est de la magie.
République football club
La plus ancienne des compétitions du football français (1917) est aussi la plus chérie, la plus suivie et la plus aimée des Gaulois. Un peu comme le Tour de France (créé en 1903) qui fait le portrait (mythique) d’une France rurale de carte postale envoyée au monde entier chaque été, la Coupe de France répète la comédie de la République une, indivisible et méritocratique. Amateurs ou professionnels, tous les clubs de France participent. Et chaque saison (ou presque) donne lieu au récit du petit club qui affronte le grand, d’un David sympathique se mesurant à un Goliath surpuissant. C’est le paradoxe de cette histoire : si les Herbiers réalisent un exploit — se hisser jusqu’en finale — il est loin d’être le premier club amateur à s’offrir une épopée dans la compétition. C’est même l’ingrédient traditionnel et attendu de la Coupe de toutes les Frances.
En 2000, déjà, Calais s’inclinait 2-1 contre Nantes en finale. A cette occasion, Mickaël Landreau offrait la même photo en compagnie du capitaine des amateurs Reginald Becque 18 ans avant Thiago Silva et son homologue vendéen. Quevilly, club de Normandie, parviendra même deux fois en finale (1927 et 2012) et deux fois en demi-finale (1968 et 2010). Schirrhein, club alsacien de 7ème division, parviendra à se qualifier pour les 1/16 de finale en 2009. Carquefou (quatrième division) est éliminé par le PSG en 2008 après avoir éliminé trois formations professionnelles. En 2021, c’est Versailles (quatrième division) qui excite les imaginaires avant de perdre en demi-finale. Bref, au pays de la révolution éternelle, il y aura toujours des oreilles attentives pour écouter l’histoire du petit club de Province qui renversa un jour l’ordre établi pour se hisser, le temps d’un grand match, à la hauteur de l’histoire universelle.
Rire à Paris, pleurer à Béziers.
Après tout, c’est le sens exact du mythe républicain français : l’égalité est la règle et « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». C’est la Déclaration des droits de l’homme de 1789 (autre invention française) qui le dit. Les Herbiers, ce 8 mai 2018, c’est le Provincial monté à Paris (mythe qui irrigue également toute la littérature française), de la République qui offre à tous ses enfants le droit de contempler ses ors et ses triomphes. La Fédération Française de Football offrira au club de National (troisième division) le privilège de visiter le Centre de Clairefontaine, Château de Versailles du football français, et même d’y passer une nuit. Dans les reportages de l’époque, on voit les joueurs de National (qui ne sont pas vraiment amateurs, s’entraînent comme des pros, n’ont pas de métier à côté, mais passons, le mythe est aveugle), on les voit ainsi, des étoiles dans les yeux, dégainant leur téléphone à tout propos, tout heureux de dormir dans des chambres aux noms de géants: Zinédine Zidane, Didier Deschamps, Marcel Dessailly. C’est la force de ce mythe : quand le grand est absent on est sûr que le petit le restera.
De retour à la maison, trois jours après cette défaite glorieuse en finale contre le roi PSG, les petits redevinrent minuscules, incapables, même, de maintenir leur rang. Au soir d’un match anonyme contre Béziers, les Herbiers seront relégués en quatrième division « Ça a été très difficile, se souvenait trois mois plus tard Stéphane Masala, leur entraîneur dans Sofoot. Le mardi, on était au stade de France avec des félicitations de tout le monde pour cette belle finale où on a réussi à tenir tête au Paris Saint-Germain. Trois jours après, j’avais des joueurs qui pleuraient à Béziers. »