Le flic ou l’infirmier

C’est l’histoire d’un mec qui ne rit jamais aux spectacles comiques.

Je vous préviens, je suis d’une humeur massacrante. N’essayez pas de me raconter l’histoire de votre première cuite ou du jour où vous avez assisté aux championnats de France de lancer de nains dans une discothèque de la région d’Annecy. Rien ne me fera sourciller. Installé devant mon clavier, chaque lettre que vous lisez est un clou enfoncé entre mes yeux. Il fait beau aujourd’hui ? Tant mieux, je vais pouvoir garder mes lunettes de soleil à l’intérieur. Je travaille de chez moi et n’ai aucun patron à qui rendre des comptes ? Dommage, j’aurais volontiers cassé la gueule à un petit chef. Certains matins sont si douloureux que n’importe quelle présence, le moindre bruit qui viendrait troubler la routine rassurante de mon petit déjeuner, est une provocation qui m’est personnellement adressée. Ce matin entre le café et la tartine de Nutella, Brice Couturier a été accusé par mes soins de poujadisme radiophonique. Sa constante bonne humeur m’avait semblé la preuve irréfutable de sa malveillance à l’égard de la classe moyenne. Ce matin pour moi tout le monde est de droite.

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Maigre et gras

Du rapport complexe que j’entretiens avec mon abdomen.

Mon passage sur l’autre versant de l’existence date du jour où je devinai sous mon T-shirt les premières courbes étrangères. La relation qu’un homme entretient à son embonpoint naissant est une affaire biblique. Il ne s’agit pas uniquement d’avoir la taille svelte, le torse fort. Non, l’âge avançant, la silhouette d’un homme est empreinte d’une gravité nouvelle. Si les femmes entretiennent avec leur poids une conversation ininterrompue depuis l’adolescence, pour les hommes, cette découverte est plus brutale. Elle ne tient pas en quelques chiffres abstraits (une balance pour la fête des pères est-elle une bonne idée de cadeau ?), mais un rapport nouveau et curieux avec son apparence et sa silhouette.

C’est donc avec un certain embarras, je l’avoue ici, que j’admets avoir fait la connaissance d’une nouvelle partie de mon corps qui, depuis quelques temps, semble mener une existence autonome. Ce qui me semblait naturel depuis les années de lycée (manger des Big Mac et toujours rester mince) tient aujourd’hui du miracle diététique. Je crois que vieillir c’est faire l’épreuve d’une gravité nouvelle : s’arrondir un peu plus chaque jour avant de s’effondrer pour toujours.

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Comment j’ai gardé ma femme

C’est ici que tout commence. C’est ici aussi que tout finit. Premier essai de théorisation du monde.

Je n’arrive pas à me décider. Je réfléchis beaucoup trop. Donnez-moi n’importe quel fait, n’importe quel hasard, j’en ferai le plus sérieux des problèmes, la plus ennuyeuse des énigmes. Transformer les décisions les plus courantes (choisir sa marque de café, opter pour un shampoing plutôt qu’un autre) en une telle aporie que plus aucune légèreté ne soit possible (quelle est la différence fondamentale entre un café brésilien et un café colombien ? Qu’est-ce qu’un cheveu normal ?), voilà le problème de ma vie.

Si je ne peux m’empêcher d’entrer dans d’interminables délibérations intérieures avant de me prononcer définitivement sur n’importe quel sujet, c’est que mon dos se bloque à la seule mention de cette idée terrifiante : me tromper. Ainsi, au moment de mener ma vie de citoyen exemplaire, il n’est pas rare que je me pose ce genre d’alternatives : Franprix est moins cher mais Monoprix est mieux fréquenté, lequel choisir ?  Je prends alors quelques minutes, immobile sur mon trottoir et le chariot à la main, pour méditer mûrement mon choix.  Je me rappelle l’éloge de Monoprix par Michel Houellebecq (« c’est magnifique Monoprix »). Quel est mon rapport à son oeuvre ? Mimétisme ou rejet ? Mimétisme, plutôt. Mais discret. J’opte donc pour Franprix, mais dans une perspective critique. Bref, je me prends la tête pour un rien.

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