Valdano « le football est une fiction  » 2/2 (inédit)

Suite et fin de notre conversation avec Jorge Valdano. Le pragmatisme abordé, il était devenu impossible de ne pas parler équipe de France, Guardiola, cynisme, Sinatra et VAR. Dans cet ordre. 

Valdano 86

On oppose volontiers à l’amateur de beau jeu le plaisir du défenseur.  Simeone dit d’ailleurs que défendre est un art de vivre, dans quel sens le dit-il ? 

C’est une éthique de l’effort, de la générosité. C’est pour cette raison qu’il instaure une discipline quasiment militaire. Ce qui est aussi admirable en un certain sens dans la mesure où, cinq ans plus tard, les joueurs continuent à s’y plier. Il y a une grande valeur à convaincre des joueurs qu’ils vont au football comme on va au sacrifice. La part éthique réside ici dans le sacrifice, l’humilité. Ce sont des questions bien réelles et pertinentes pour le football mais qui malheureusement ne prennent pas en compte le courage ou la beauté. Voilà pourquoi il me semble que cette idée du football reste incomplète. D’ailleurs de l’Atletico de Madrid on ne peut dire que deux choses: soit il gagne, soit il perd. Il n’est pas  analysable du point de vue strictement footballistique. Guardiola, au contraire, doit gagner et bien jouer. Sinon, il ne remplit pas le contrat. C’est une question d’expectatives. Voilà pourquoi jouer comme Simeone, c’est beaucoup plus facile que de jouer comme Guardiola. Pep a beau encaisser moins de but que l’Atletico et en marquer cinq fois plus, l’analyse à son encontre reste mesquine. 

Lire la suite

Puel « créer un bordel organisé » (2016) 2/2

Suite de la conversation avec Claude Puel publiée dans Football à la française chez Solar. Son équipe a changé, ses traits se sont marqués. Les principes sont toujours les mêmes. 

retrouvailles-a-venir-entre-ben-arfa-et-puel-en-angleterre_212992

D’où vient l’idée de mettre en place le 4-4-2 en losange ? Est-ce pour favoriser un jeu de possession ?

Non, ce n’est pas une question de possession. L’idéal pour la possession c’est plutôt le 4-3-3 pour prendre naturellement la largeur et écarter le jeu. On l’a tenté par rapport à un profil de joueur. J’ai testé Hatem sur un côté, mais pour moi c’était le perdre. Il ne rentrait pas dans cette zone là. Donc je me suis dit qu’on pourrait le développer un peu mieux dans l’axe, un nouveau poste pour lui. On a donc testé le 4-4-2 en losange pendant les matchs de préparation. Voilà ce que j’ai dit aux joueurs « ce n’est pas évident parce qu’il y a beaucoup de contraintes avec ce système mais si on arrive à bien le faire ça peut être sympa. »

Lire la suite

En attendant Hatem (inédit)

Il n’y a pas que le football dans la vie. Il y a aussi l’art, la vie. Il est heureux, paraît-il, tranquille même. Tant mieux. 

hatem-ben-arfa-match-football-entre-psg-bordeaux-parc-des-princes-paris-1er-octob_exact1024x768_l

Pour comprendre quelque chose à l’obsession, il faut revoir la scène d’ouverture d’Apocalypse Now. Ce que le cœur voit, les yeux l’ignorent. Une forme se dessine devant nous, le visage se penche légèrement. Ce n’est plus un ventilateur que l’on voit tourner au-dessus de nos têtes. Ce n’est plus un mégot de cigarette qui crache cette fumée opaque. Tout à coup, à mesure qu’on se souvient, ce qu’on a devant les yeux ne ressemble plus du tout à ce qu’on a devant les yeux. Ce que les tripes voient c’est tout ce qui manque, tout ce qui dévore de l’intérieur. L’odeur du sang, la moiteur de la jungle dans cette chambre moite. Les palles du ventilateurs sont celles des hélicos survolant la jungle vietnamienne, les bruits des pots d’échappement qui raisonnent à l’extérieur ne sont pas ceux de Saigon mais plutôt des décharges de MPK s’enfonçant tantôt dans un arbre, tantôt dans une jambe. Et cette fumée, ce n’est pas la cigarette. C’est le destin. C’est le Napalm.

Lire la suite

« Hazard préfère donner une dernière passe à marquer un but » C. Puel (traduction, suite) part 2/2.

Voici la suite de l’entretien de Claude Puel réalisé par Diego Torres et publié dans El Pais (31/05/2019)

 

Claude-Puel-759x500

Quand un avant-centre n’est pas en communion avec le jeu élaboré par ailleurs les mêmes distorsions se produisent-elles ? Que pensez-vous de l’inclusion de Diego Costa dans la sélection espagnole ?

Il faudrait utiliser Costa d’une manière différente. En contre. Moi par exemple, à Leicester, j’ai eu problème avec Vardy. Vardy balle au pied n’était pas très bon. Il jouait la profondeur, à une ou deux touches de balle, se démarquait et frappait. Pour faire tout cela, il était très habile. Mais pour décrocher, descendre et construire, il était techniquement trop insuffisamment doté et avait tendance à bloquer la circulation de ballon. 

Vardy, c’est l’un des meilleurs joueurs de Premier League pour se démarquer. Pourquoi est-il si important qu’un joueur descende au milieu pour construire ?

Il a été champion d’Angleterre avec Leicester en jouant en contre-attaque, les deuxièmes ballons. Mais quand les équipes ont compris le truc et lui ont supprimé les espaces devant lui, ses problèmes ont commencé. Vardy est un joueur qui va systématiquement dans l’espace mais qui, quand les défenses se referment, ne parvient pas à trouver les espaces si facilement dans le dos des centraux. Il devrait davantage combiner. Mais avec lui c’était impossible. On a développé une idée différente pour pouvoir malgré tout progresser. On a mis en avant de jeunes joueurs talentueux dans toutes les positions. Aujourd’hui, Leicester est une des équipes qui a la moyenne d’âge la plus basse de toute la Premier League et dont la marge de progression est la plus intéressante. Mais j’ai travaillé là-bas dans l’incompréhension générale. C’est un climat traditionnel, de l’ancienne école. J’ai dû me confronter à des vétérans qui voulaient insister sur le style de jeu qui les avait fait gagner un titre. Moi je voulais tourner la page parce que recommencer ce même modèle de succès était impossible. Il fallait reprogrammer l’équipe avec des joueurs des sélections anglaise U19 et U21.

Lire la suite

« Hazard préfère donner une dernière passe à marquer un but » C. Puel (traduction) part 1/2.

1558886244_580163_1559149277_noticia_normal_recorte1

Entretien par Diego Torres paru dans El Pais (31/05/2019)

Eden Hazard, Alexandre Lacazette, Virgil van Dijk et Hugo Lloris ont deux points communs. Cette semaine ils disputent tous deux une finale de compétition UEFA et sont passés, pendant leurs années de formation, dans les mains de Claude Puel (Castres, France, 1961). Milieu de terrain du Monaco d’Arsène Wenger, George Weah et Ramón Diaz; devenu ensuite adjoint de Wenger, Puel jouit d’une carrière unique en Ligue 1. Il est l’homme qui a disputé le plus de matchs dans l’élite française: 1222 matchs comme joueur puis entraîneur. Ce record n’a pourtant pas fait de lui un adepte de l’école de sa fédération, promotrice de football défensif caractéristique de la sélection championne du monde 1998 et 2018. Comme Wenger chez lui, Puel est contre-culturel. Il s’exprime dans un parfait espagnol. 

Comment avez-vous découvert Eden Hazard ?

Je l’ai fait débuter à l’âge de 16 ans. Il jouait alors dans l’équipe réserve de Lille en appui de mon fils Grégoire. A cette époque, Grégoire était un attaquant rapide, avec une bonne frappe, qui marquait beaucoup de buts parce qu’il avait Hazard derrière qui lui donnait beaucoup de ballons. Un jour, je l’ai fait monter en équipe première pour un amical contre Bruges. Il a fait un truc : il a pris le ballon et s’est mis à dribbler cinq joueurs à la suite. Et, quand tout le monde autour de lui s’était mis à douter, il s’est arrêté et a glissé le ballon. Petit coup d’œil, petite touche de balle, une passe et un ballon de but pour que son coéquipier n’ait plus qu’à pousser le ballon dans le but. Depuis le banc je n’avais même pas vu la solution que, lui, avait trouvé tout en conduisant le ballon. Il ressemblait en fait beaucoup au joueur qu’il est maintenant. Il n’avait pas grand chose à apprendre. Il possédait un sang froid extraordinaire, était capable de dribbler tout en observant tout ce qu’il se passait autour de lui, de deviner ce que les autres allaient faire. A chaque moment il pensait aux lignes de passe possibles. Cela dit je pensais à l’époque qu’il pouvait encore progresser. Il aimait bien passer mais pas trop conclure, marquer. Compte tenu de ses qualités il pouvait aussi devenir plus buteur. Aujourd’hui il trouve beaucoup de plaisir à donner un bon ballon. 

Lire la suite

Didier Deschamps, le romantique derrière le pragmatique

EURO 2016 – C’est l’histoire d’un éternel paradoxe. Cette équipe de France faite d’imprévus successifs, de désorganisation et, il faut bien le dire, d’une certaine improvisation, semble étrangement renouer – sans le vouloir – avec une tradition du jeu qu’on pensait enterrée. Et si Deschamps était devenu un romantique… par pragmatisme ? lire sur Eurosport.fr

Football à la française – sortie le 21 avril 2016

  « À ceux qui répètent comme un mantra qu’ « il n’y a pas de culture foot en France» sans se rendre compte qu’ils sont les premiers responsables d’un mal qu’ils déplorent, Thibaud Leplat apporte un démenti formel et magistral. Dans Football à la française, il dessine l’impossible généalogie du football hexagonal des années 1930 à aujourd’hui. Il montre … Lire la suite

Pep Guardiola, l’héritier sans testament

Pep vient de perdre l’homme qui avait fait de lui un joueur de football, un capitaine et un entraîneur. JC est mort en pleine semaine sainte. C’est à Pep désormais de porter sa croix.

cruyff et pep.jpg

Que dirons-nous aux plus jeunes ?

Pep nous a raconté cette parabole ce matin, pour nous aider.

Marius, le fils de Pep Guardiola, qui n’avait pas connu Johan Cruyff et qui n’aimait pas tellement l’école demanda hier soir à son père pourquoi il avait l’air si triste. C’est vrai, il avait souvent entendu le nom de « Johan » ou de « Cruyff » dans la bouche de ses parents. Mais jamais le bambin n’avait remarqué les yeux de son père aussi perdus dans le vague qu’hier soir au moment de prononcer son nom. « Cruyff » c’était pour lui le son que faisait les grenouilles au bord des étangs quand on savait rester immobile un instant. « Cruyff, Cruyff » c’était ce qu’il entendait quand il leur tournait le dos puis, faisant mine de s’éloigner, d’un saut vif et expert, en attrapait enfin une. Devant les yeux admiratifs de ses deux soeurs, il triomphait de ses dernières trouilles d’enfant. Pour Marius, Cruyff était un bruit. Pour Pep, c’était un maître.

Comme le petit orphelin de la légende racontée par Walt Disney avait trouvé refuge chez un vieux mage à la barbiche trop blanche pour être véritablement inquiétante, le petit Marius Guardiola, du haut de ses treize ans, écoutait attentivement ce que lui racontait son papa. Cruyff c’était un monsieur qu’il avait connu quand il était très jeune et qu’il n’avait pas encore rencontré sa maman.

– Johan était pour nous plus qu’un entraîneur. C’était comme un maître d’école qui faisait plein de tours rigolos. Il était un peu sévère mais en même temps nous faisait découvrir beaucoup de choses nouvelles.

– Ah… répondit Marius, un brin circonspect.

Marius avait connu quelques instituteurs qui lui avaient plu. Il comprenait de ce que lui disait son père. Non, ce qui le chiffonnait, c’était une question : comment pouvait-on être impatient d’aller à l’école ?

– Mais ses cours étaient tellement bien, que le matin on était pressé d’y aller !

Alors le visage du petit s’éclaira tout à coup.

Il se souvint du barbu si rigolo qu’il avait vu à la télévision.

– Comme Merlin ?

– Oui, mon chéri. Exactement… Comme Merlin.

Il est ici facile d’imaginer Pep prendre son garçon dans les bras et l’embrasser.

Lire la suite