Liberté, égalité, Les Herbiers

Panenka

(VF – original publié en espagnol dans le Panenka numéro 124)

 En 2018, l’ogre Paris-Saint-Germain offrait à l’équipe amateurs des Herbiers une photo légendaire. Thiago Silva et Sébastien Flochon soulevaient ensemble la 101ème coupe de France. Paris l’emportait 2-0 en finale mais c’est bien Les Herbiers qui sont restés dans les mémoires républicaines. 

JS Coulaine, Voltigeurs de Châteaubriant, Balma SC, SO Romorantin, Angoulême Charente FC, FC Saint-Lô Manche, AJ Auxerre, RC Lens, FC Chambly et, enfin, Paris-Saint-Germain. Pour le féliciter de leur parcours homérique, Thiago Silva, en seigneur, offre ce 8 mai 2018 (jour de la célébration de la Victoire de 1945) à son homologue des Herbiers, Sébastien Flochon, le privilège de soulever avec lui le trophée républicain. L’image célèbre fera la Une de L’Equipe le lendemain avec ce titre : « Tous vainqueurs ». Un an après l’improbable arrivée de Neymar en France et quelques jours avant le limogeage d’Unai Emery, désigné coupable d’une nouvelle élimination en huitièmes de finale de Ligue des Champions, le PSG jouait le jeu de la mythologie à la française. Il saluait le parcours d’un petit club de national (troisième division) parvenu à se hisser sur les épaules d’un géant. Ce n’est pas du football, c’est de la magie. 

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Valdano et Maradona : miettes philosophiques (2ème partie)

Jorge évoque souvent la figure de Maradona quand il veut présenter sa vision du génie. Mais il le fait toujours du point de vue du coéquipier attentif. Quand il raconte Diego c’est toujours depuis l’extérieur c’est-à-dire d’un point de vue privilégié pour le décrire mais sans jamais essayer d’en percer le mystère. Bien au contraire, il préserve l’énigme du génie en la restituant dans toute sa profondeur. Aujourd’hui, le vestiaire de Argentina 86.

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Valdano et Maradona: miettes philosophiques (partie 1)

« J’ai écrit pour ne plus avoir à parler » voilà ce que répond Jorge Valdano quand on vient prendre des nouvelles du maître endeuillé par la disparition de son ami. Sur Maradona il a beaucoup écrit. Sur Diego aussi. Au centre de ses réflexions, toujours les deux faces d’un même personnage qui viennent interroger l’époque et ses préjugés. Car Diego était aussi un grand philosophe. La preuve. Première partie : l’intelligence en liberté

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Le football aux temps perdus

Il est possible depuis 2018 de ne consommer que les dernières minutes des matchs NBA. Le tennis est lui-même en plein bouleversement et cherche à réduire la durée de ses matchs. Un opérateur français est sur le point de proposer des actions de Ligue 1 en « quasi-direct ». Faut-il craindre ce processus de désintégration de la rencontre sportive ? 

On n’a jamais le temps de rien, c’est vrai. Le tennis, trop long, trop lent, est contraint de revoir le format de ses rencontres. Moratoglou, en compagnie d’une poignée de joueurs de l’ATP a donc avancé ce mois-ci (compétition toujours en cours) sa contribution à la modernisation du sport en inventant l’UTS (Ultimate Tennis Showdown) nouvelle discipline se pratiquant sur des courts de tennis en quatre quarts-temps de dix minutes. Le temps de récupération entre les points passe de 25 à 15 secondes et la durée des matchs (hors mort-subite) passe donc à moins d’une heure. La menace qu’il faut éviter c’est l’ennui, bien sûr « Les gens consomment des formats vidéo plus courts et préfèrent les contenus à grignoter. Plus les matchs sont longs, plus la durée d’attention diminue, ce qui est encore plus vrai pour le jeune public ». La sollicitude de Patrick Moratoglou à l’égard de notre attention n’a d’égale que sa clairvoyance. Face à un spectacle qui s’étale et s’enroule, ce n’est plus le bâillement qui est le mal qui guette. Ce que redoute l’industrie de l’attention – en particulier en période post-confinement – c’est le désabonnement autrement dit la disgrâce.

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De héros à simples citoyens – J.Valdano (traduction)

Article publié dans El Pais du 21/03/20

Le football comme spectacle disparu, le classement général comme échelle de nos espoirs évaporé, ne reste plus qu’une évidence : la précarité de cette industrie. 

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Où est passé le football ?

Quand l’essentiel  (santé, économie, liberté de mouvements…) est en danger, le football perd sa condition de divertissement. Les enfants, chose inquiétante pour eux, ne peuvent même plus aller courir derrière un ballon dans le parc du coin. Et, autre épreuve de stress, les plus vieux ne peuvent même plus se passionner pour le prochain match.  Ce brusque arrêt a enrayé la mécanique créatrice de passions et de richesse. Au football, si vous gagnez un match, il faudra confirmer au prochain. Si vous perdez, faire mieux. Et si jamais vous faites un nul, on trouvera bien quelque chose à dire. Dans cette dynamique constante, passé et futur semblent vouloir en permanence se rapprocher. Oui mais voilà, le cycle rétro-alimenté d’expectatives, d’incertitude et de polémiques est maintenant rompu. Pas le moindre match pour divaguer, plus aucun interlocuteurs avec lequel discuter, plus aucune information à méditer. Le football a disparu.

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« Les commentateurs comme moi craignons toujours d’être obsolètes… » Jorge Valdano, extraits du jour (inédit)

Pour le plaisir de l’intelligence, voici un petit extrait traduit de la chronique du 28/02/2020 Raconter le football Les commentateurs comme moi craignons toujours d’être obsolètes. Nous faisons donc des efforts pour avoir l’air modernes. Et dans l’application que nous mettons à déceler de nouveaux traits au jeu, nous découvrons souvent des détails insignifiants qui … Lire la suite

Valdano « le football est une fiction » (inédit) 1/2

À l’occasion de la diffusion de l’excellent « C’est pas grave d’aimer le football » réalisé par Hervé Mattoux et Laurent Kouchner pour Canal Plus, poursuivons la réflexion en conversant avec l’un de ces intellectuels qui pensent à l’intérieur du football. Et celui-là, chose rare, est aussi champion du monde 86. 

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Il est des hommes dont l’importance se mesure à la fécondité de la pensée. Jorge Valdano est bien plus qu’un champion du monde 1986 (buteur en finale), un ancien entraîneur et directeur sportif du Real Madrid. Il est bien plus aussi qu’un actuel consultant pour Beinsport Espagne ou chroniqueur patient et discipliné du football mondial depuis plus de vingt ans. Non, Jorge Valdano est beaucoup plus que la somme de toutes ces missions. Il est un sage qu’il convient de consulter à intervalles régulier et qui, comme les philosophes de l’Antiquité, vous invitera à vous exercer régulièrement à la même discipline de pensée. 

Cette conversation a eu lieu le 10 novembre 2018 à Madrid. Elle est le point de départ philosophique de La Magie du football, pour une philosophie du beau jeu, publié en mars 2019 chez Marabout. 

Jorge Luis Borgés, l’un des plus grands auteurs du pays qui aime le plus le football au monde — l’Argentine — a toujours détesté le football. Il lui a pourtant écrit l’un des plus beaux contes jamais écrit pour en révéler sa nature fictive : Esse est percipi dans Chroniques de Bustos Domecq

Borgés était un aristocrate avec de grandes intuitions. Ce conte qu’il a composé à quatre mains avec Bioy Casares sur le football est merveilleux. L’autre jour De Laurentis (président de Naples) a dit qu’il fallait rendre le football plus divertissant au risque de le voir disparaître. C’est sans doute le cas. Le football tel qu’on l’a connu va bientôt disparaître. Dans les lots correspondants aux droits de retransmission de la NBA il y a maintenant un lot qui ne contient que le dernier quart-temps. C’est terrible. Stratégiquement c’est une erreur parce que cela revient à jeter à la poubelle les trois-quart du match. J’essaie de lutter contre ces tendances à la décomposition mais c’est très difficile de lutter contre son époque. Cette attitude te mène inévitablement à la mélancolie. Pour moi, le football c’est tout le contraire de la technologie. Il y a une sauvagerie à y maintenir.

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Puel « créer un bordel organisé » (2016) 2/2

Suite de la conversation avec Claude Puel publiée dans Football à la française chez Solar. Son équipe a changé, ses traits se sont marqués. Les principes sont toujours les mêmes. 

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D’où vient l’idée de mettre en place le 4-4-2 en losange ? Est-ce pour favoriser un jeu de possession ?

Non, ce n’est pas une question de possession. L’idéal pour la possession c’est plutôt le 4-3-3 pour prendre naturellement la largeur et écarter le jeu. On l’a tenté par rapport à un profil de joueur. J’ai testé Hatem sur un côté, mais pour moi c’était le perdre. Il ne rentrait pas dans cette zone là. Donc je me suis dit qu’on pourrait le développer un peu mieux dans l’axe, un nouveau poste pour lui. On a donc testé le 4-4-2 en losange pendant les matchs de préparation. Voilà ce que j’ai dit aux joueurs « ce n’est pas évident parce qu’il y a beaucoup de contraintes avec ce système mais si on arrive à bien le faire ça peut être sympa. »

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Puel « un entraîneur est là pour donner sans jamais rien attendre en retour » (2016) 1/2

Cette interview est extraite de mon Football à la française, publié chez Solar en 2016. L’arrivée de Claude Puel à Saint-Etienne est l’occasion de revenir sur cette conversation de football organisée dans un petit bureau dans l’ancien centre d’entraînement de l’OGC Nice. Première partie.

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C’est d’abord sa voix qu’on entend résonner derrière le grillage du centre d’entraînement de l’OGC Nice. « Faites vivre le ballon !! » hurle-t-il à des gamins recouverts de rouge et noir qui ne gâche jamais une opportunité de faire une passe courte, de bouger dans l’espace. On entend, au bord de ce terrain construit au contre une route trop bruyante et trop encombrée, le bruit des passes qui fusent sur le gazon arrosé, des intérieurs du pieds secs qui claquent contre le ballon toujours joué au sol. 

L’entraîneur de ce club est l’homme en activité qui a le plus d’expérience en Ligue 1 avec plus de 500 matchs sur le banc et autant comme joueur. En 1000 matchs, il a vu donc passé presque trente ans de football français depuis le seul endroit qui compte : le terrain. C’est dire le prix que peut avoir maintenant pour nous une conversation de football avec lui. On y parlera sans doute de Wenger, sa plus grande influence, de Tigana, dont il fut l’adjoint à Monaco, de son amour du jeu et de son goût pour le métier d’entraîneur. 

Mais ce qu’il y a de plus étonnant chez Claude Puel c’est qu’en dépit de ce titre ronflant d’entraineur le plus capé de Ligue 1, il donne toujours l’impression – c’est peut-être sa discrétion ou son sens de la retenue – d’être toujours un jeune entraîneur aux idées nouvelles. C’est le paradoxe de Puel. Après avoir formé un nombre incalculables de joueurs, avoir été le dernier entraîneur à donner un championnat à Monaco (en 2000), avoir fait de Lille autre chose que de la chair à relégable, être le dernier entraîneur français à atteindre une demi-finale de Ligue des Champions (avec Lyon), il a fait maintenant de l’OGC Nice la grande surprise du championnat 2015-2016. Son dernier mérite n’est pas seulement d’avoir hisser un club moyen en première page des journaux mais surtout d’avoir réussi à en faire un modèle de jeu et de formation à la française.

Et si c’était lui le meilleur entraîneur français de ces dix dernières années ?

Derrière son bureau minuscule du vieux centre d’entrainement de l’OGC Nice, il indique poliment au visiteur un siège en face de lui. 

Par où commencer ?

J’ai une idée.

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En attendant Hatem (inédit)

Il n’y a pas que le football dans la vie. Il y a aussi l’art, la vie. Il est heureux, paraît-il, tranquille même. Tant mieux. 

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Pour comprendre quelque chose à l’obsession, il faut revoir la scène d’ouverture d’Apocalypse Now. Ce que le cœur voit, les yeux l’ignorent. Une forme se dessine devant nous, le visage se penche légèrement. Ce n’est plus un ventilateur que l’on voit tourner au-dessus de nos têtes. Ce n’est plus un mégot de cigarette qui crache cette fumée opaque. Tout à coup, à mesure qu’on se souvient, ce qu’on a devant les yeux ne ressemble plus du tout à ce qu’on a devant les yeux. Ce que les tripes voient c’est tout ce qui manque, tout ce qui dévore de l’intérieur. L’odeur du sang, la moiteur de la jungle dans cette chambre moite. Les palles du ventilateurs sont celles des hélicos survolant la jungle vietnamienne, les bruits des pots d’échappement qui raisonnent à l’extérieur ne sont pas ceux de Saigon mais plutôt des décharges de MPK s’enfonçant tantôt dans un arbre, tantôt dans une jambe. Et cette fumée, ce n’est pas la cigarette. C’est le destin. C’est le Napalm.

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