Valdano « le football est une fiction  » 2/2 (inédit)

Suite et fin de notre conversation avec Jorge Valdano. Le pragmatisme abordé, il était devenu impossible de ne pas parler équipe de France, Guardiola, cynisme, Sinatra et VAR. Dans cet ordre. 

Valdano 86

On oppose volontiers à l’amateur de beau jeu le plaisir du défenseur.  Simeone dit d’ailleurs que défendre est un art de vivre, dans quel sens le dit-il ? 

C’est une éthique de l’effort, de la générosité. C’est pour cette raison qu’il instaure une discipline quasiment militaire. Ce qui est aussi admirable en un certain sens dans la mesure où, cinq ans plus tard, les joueurs continuent à s’y plier. Il y a une grande valeur à convaincre des joueurs qu’ils vont au football comme on va au sacrifice. La part éthique réside ici dans le sacrifice, l’humilité. Ce sont des questions bien réelles et pertinentes pour le football mais qui malheureusement ne prennent pas en compte le courage ou la beauté. Voilà pourquoi il me semble que cette idée du football reste incomplète. D’ailleurs de l’Atletico de Madrid on ne peut dire que deux choses: soit il gagne, soit il perd. Il n’est pas  analysable du point de vue strictement footballistique. Guardiola, au contraire, doit gagner et bien jouer. Sinon, il ne remplit pas le contrat. C’est une question d’expectatives. Voilà pourquoi jouer comme Simeone, c’est beaucoup plus facile que de jouer comme Guardiola. Pep a beau encaisser moins de but que l’Atletico et en marquer cinq fois plus, l’analyse à son encontre reste mesquine. 

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Messi et le pipi (traduction)

par Jorge Valdano

publié dans El Pais, le 20/10/2018

Sans titre

On mesure la grandeur d’un artiste à son œuvre, pas à sa vie.

Maradona et les toilettes

Je reviens du Mexique où le roi des médias s’appelle Maradona. Sa drogue étant le football, il a retrouvé son bonheur depuis qu’il est à nouveau à la tête d’une équipe. Diego, c’est toujours un bon client. Dans de récentes déclarations, il a salué le joueur Messi mais condamné le leader. Les éloges ont tout à coup été enterrés sous une phrase lapidaire « un homme qui va vingt fois aux toilettes avant un match ne peut pas être un chef ». Nous savons que Messi, toujours dans la retenue voire même parfois renfermé, est un leader technique avant d’être un leader social. Cela dit, son influence sur les matchs ne fait aucun doute. Pour parler de Messi je vais utiliser une phrase que j’ai souvent utilisé pour défendre Maradona lui-même: on mesure la grandeur d’un artiste à son œuvre, pas à sa vie. Il y a maintenant un certain temps que je me coltine Messi comme adversaire et je dois bien avouer qu’à chaque fois qu’il contrôle le ballon, c’est moi qui me fais pipi dessus. 

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Lopetegui, Florentino et la « tragédie » (traduction)

Sans titre

par Jorge Valdano

publié le 13/10/2018 dans El Pais

Si tu n’y crois pas, ça ne compte pas

Nous espérions que le but qui sortirait le Real de sa sécheresse et que le public du glorieux Deportivo Alavés célèbrerait serait celui de l’égalisation. Pour cette raison, le but de Manu à la quatre-vingt quinzième minute a raisonné comme un coup de feu dans une église. L’inégalable romancier qui habite à l’intérieur du football n’aime rien de plus que tout mettre sens dessus dessous. Le Real était encore en observation quand tout à coup l’Alavés marca un but et le mot « tragédie » apparut dans mon commentaire. A l’heure de décrire les catastrophes ces exagérations tendent à laisser le fait diversier sans adjectif assez fort. Mais quelque soit le jeu auquel on joue, il se doit de prendre toute la place pendant un temps. Si cela arrive à un joueur, il sera concentré au maximum; si cela arrive à un supporter, il oubliera le temps d’un match la vie qu’il a laissée à l’extérieur du stade; si cela arrive au commentateur, il se doit de se laisser emporter par cette merveilleuse fiction. A la fin de la rencontre, je suis tombé sur Lopetegui et Florentino. En voyant leurs mines, je me suis dit « au diable les faits diversiers, ceci c’est une tragédie ».

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Ce pays qui n’aime pas le Mondial

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« Voir des millionnaires courir derrière un ballon ». Anne-Sophie Lapix sur France 2 le 13 juin dernier n’a pas hésité à embarquer vers un pays étrange avant de faire demi-tour puis de s’excuser. Trop tard. L’occasion était trop belle pour nous remettre à penser. Essayons de comprendre ce qui arrive à ceux qui ne nous aiment pas. De quel pays viennent ceux qui n’aiment pas le Mondial ?

Il y a longtemps qu’on ne devrait plus se vexer. C’est vrai, avouons qu’un Russie-Arabie Saoudite, n’a, a priori, pas de vertu autre que celle du dépaysement. Installés dans nos canapés d’occasion on regarde ainsi les programmes des matchs du premier tour comme on contemplerait à Roissy-Charles-de-Gaulle, les destinations les plus exotiques se succéder sur un grand tableau d’affichage. Tous ces gens qui grouillent finiront bien par partir quelque part. Le plaisir du Mondial c’est d’être assis là et de les voir embarquer. Mais à la différence du poète égaré dans un hall d’aéroport, l’immense vaisseau du Mondial nous emmène toujours avec lui, pour peu qu’on y prête un peu attention. Voila pourquoi on pourrait mourir de ne pas regarder un Suisse-Costa Rica ou un Panama-Tunisie. Ce serait comme rester à quai aux côtés de ceux qui n’aiment rien, exilé sans quitter terre, au pays de ce qui n’aiment pas le Mondial. 

Nous ne sommes que la France et ce n’est pas l’amour du football qui nous étouffe. Non, c’est plutôt la haine

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