Le football aux temps perdus

Il est possible depuis 2018 de ne consommer que les dernières minutes des matchs NBA. Le tennis est lui-même en plein bouleversement et cherche à réduire la durée de ses matchs. Un opérateur français est sur le point de proposer des actions de Ligue 1 en « quasi-direct ». Faut-il craindre ce processus de désintégration de la rencontre sportive ? 

On n’a jamais le temps de rien, c’est vrai. Le tennis, trop long, trop lent, est contraint de revoir le format de ses rencontres. Moratoglou, en compagnie d’une poignée de joueurs de l’ATP a donc avancé ce mois-ci (compétition toujours en cours) sa contribution à la modernisation du sport en inventant l’UTS (Ultimate Tennis Showdown) nouvelle discipline se pratiquant sur des courts de tennis en quatre quarts-temps de dix minutes. Le temps de récupération entre les points passe de 25 à 15 secondes et la durée des matchs (hors mort-subite) passe donc à moins d’une heure. La menace qu’il faut éviter c’est l’ennui, bien sûr « Les gens consomment des formats vidéo plus courts et préfèrent les contenus à grignoter. Plus les matchs sont longs, plus la durée d’attention diminue, ce qui est encore plus vrai pour le jeune public ». La sollicitude de Patrick Moratoglou à l’égard de notre attention n’a d’égale que sa clairvoyance. Face à un spectacle qui s’étale et s’enroule, ce n’est plus le bâillement qui est le mal qui guette. Ce que redoute l’industrie de l’attention – en particulier en période post-confinement – c’est le désabonnement autrement dit la disgrâce.

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De héros à simples citoyens – J.Valdano (traduction)

Article publié dans El Pais du 21/03/20

Le football comme spectacle disparu, le classement général comme échelle de nos espoirs évaporé, ne reste plus qu’une évidence : la précarité de cette industrie. 

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Où est passé le football ?

Quand l’essentiel  (santé, économie, liberté de mouvements…) est en danger, le football perd sa condition de divertissement. Les enfants, chose inquiétante pour eux, ne peuvent même plus aller courir derrière un ballon dans le parc du coin. Et, autre épreuve de stress, les plus vieux ne peuvent même plus se passionner pour le prochain match.  Ce brusque arrêt a enrayé la mécanique créatrice de passions et de richesse. Au football, si vous gagnez un match, il faudra confirmer au prochain. Si vous perdez, faire mieux. Et si jamais vous faites un nul, on trouvera bien quelque chose à dire. Dans cette dynamique constante, passé et futur semblent vouloir en permanence se rapprocher. Oui mais voilà, le cycle rétro-alimenté d’expectatives, d’incertitude et de polémiques est maintenant rompu. Pas le moindre match pour divaguer, plus aucun interlocuteurs avec lequel discuter, plus aucune information à méditer. Le football a disparu.

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« Les commentateurs comme moi craignons toujours d’être obsolètes… » Jorge Valdano, extraits du jour (inédit)

Pour le plaisir de l’intelligence, voici un petit extrait traduit de la chronique du 28/02/2020 Raconter le football Les commentateurs comme moi craignons toujours d’être obsolètes. Nous faisons donc des efforts pour avoir l’air modernes. Et dans l’application que nous mettons à déceler de nouveaux traits au jeu, nous découvrons souvent des détails insignifiants qui … Lire la suite

Valdano « le football est une fiction  » 2/2 (inédit)

Suite et fin de notre conversation avec Jorge Valdano. Le pragmatisme abordé, il était devenu impossible de ne pas parler équipe de France, Guardiola, cynisme, Sinatra et VAR. Dans cet ordre. 

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On oppose volontiers à l’amateur de beau jeu le plaisir du défenseur.  Simeone dit d’ailleurs que défendre est un art de vivre, dans quel sens le dit-il ? 

C’est une éthique de l’effort, de la générosité. C’est pour cette raison qu’il instaure une discipline quasiment militaire. Ce qui est aussi admirable en un certain sens dans la mesure où, cinq ans plus tard, les joueurs continuent à s’y plier. Il y a une grande valeur à convaincre des joueurs qu’ils vont au football comme on va au sacrifice. La part éthique réside ici dans le sacrifice, l’humilité. Ce sont des questions bien réelles et pertinentes pour le football mais qui malheureusement ne prennent pas en compte le courage ou la beauté. Voilà pourquoi il me semble que cette idée du football reste incomplète. D’ailleurs de l’Atletico de Madrid on ne peut dire que deux choses: soit il gagne, soit il perd. Il n’est pas  analysable du point de vue strictement footballistique. Guardiola, au contraire, doit gagner et bien jouer. Sinon, il ne remplit pas le contrat. C’est une question d’expectatives. Voilà pourquoi jouer comme Simeone, c’est beaucoup plus facile que de jouer comme Guardiola. Pep a beau encaisser moins de but que l’Atletico et en marquer cinq fois plus, l’analyse à son encontre reste mesquine. 

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Valdano « le football est une fiction » (inédit) 1/2

À l’occasion de la diffusion de l’excellent « C’est pas grave d’aimer le football » réalisé par Hervé Mattoux et Laurent Kouchner pour Canal Plus, poursuivons la réflexion en conversant avec l’un de ces intellectuels qui pensent à l’intérieur du football. Et celui-là, chose rare, est aussi champion du monde 86. 

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Il est des hommes dont l’importance se mesure à la fécondité de la pensée. Jorge Valdano est bien plus qu’un champion du monde 1986 (buteur en finale), un ancien entraîneur et directeur sportif du Real Madrid. Il est bien plus aussi qu’un actuel consultant pour Beinsport Espagne ou chroniqueur patient et discipliné du football mondial depuis plus de vingt ans. Non, Jorge Valdano est beaucoup plus que la somme de toutes ces missions. Il est un sage qu’il convient de consulter à intervalles régulier et qui, comme les philosophes de l’Antiquité, vous invitera à vous exercer régulièrement à la même discipline de pensée. 

Cette conversation a eu lieu le 10 novembre 2018 à Madrid. Elle est le point de départ philosophique de La Magie du football, pour une philosophie du beau jeu, publié en mars 2019 chez Marabout. 

Jorge Luis Borgés, l’un des plus grands auteurs du pays qui aime le plus le football au monde — l’Argentine — a toujours détesté le football. Il lui a pourtant écrit l’un des plus beaux contes jamais écrit pour en révéler sa nature fictive : Esse est percipi dans Chroniques de Bustos Domecq

Borgés était un aristocrate avec de grandes intuitions. Ce conte qu’il a composé à quatre mains avec Bioy Casares sur le football est merveilleux. L’autre jour De Laurentis (président de Naples) a dit qu’il fallait rendre le football plus divertissant au risque de le voir disparaître. C’est sans doute le cas. Le football tel qu’on l’a connu va bientôt disparaître. Dans les lots correspondants aux droits de retransmission de la NBA il y a maintenant un lot qui ne contient que le dernier quart-temps. C’est terrible. Stratégiquement c’est une erreur parce que cela revient à jeter à la poubelle les trois-quart du match. J’essaie de lutter contre ces tendances à la décomposition mais c’est très difficile de lutter contre son époque. Cette attitude te mène inévitablement à la mélancolie. Pour moi, le football c’est tout le contraire de la technologie. Il y a une sauvagerie à y maintenir.

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Messi et le pipi (traduction)

par Jorge Valdano

publié dans El Pais, le 20/10/2018

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On mesure la grandeur d’un artiste à son œuvre, pas à sa vie.

Maradona et les toilettes

Je reviens du Mexique où le roi des médias s’appelle Maradona. Sa drogue étant le football, il a retrouvé son bonheur depuis qu’il est à nouveau à la tête d’une équipe. Diego, c’est toujours un bon client. Dans de récentes déclarations, il a salué le joueur Messi mais condamné le leader. Les éloges ont tout à coup été enterrés sous une phrase lapidaire « un homme qui va vingt fois aux toilettes avant un match ne peut pas être un chef ». Nous savons que Messi, toujours dans la retenue voire même parfois renfermé, est un leader technique avant d’être un leader social. Cela dit, son influence sur les matchs ne fait aucun doute. Pour parler de Messi je vais utiliser une phrase que j’ai souvent utilisé pour défendre Maradona lui-même: on mesure la grandeur d’un artiste à son œuvre, pas à sa vie. Il y a maintenant un certain temps que je me coltine Messi comme adversaire et je dois bien avouer qu’à chaque fois qu’il contrôle le ballon, c’est moi qui me fais pipi dessus. 

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Lopetegui, Florentino et la « tragédie » (traduction)

Sans titre

par Jorge Valdano

publié le 13/10/2018 dans El Pais

Si tu n’y crois pas, ça ne compte pas

Nous espérions que le but qui sortirait le Real de sa sécheresse et que le public du glorieux Deportivo Alavés célèbrerait serait celui de l’égalisation. Pour cette raison, le but de Manu à la quatre-vingt quinzième minute a raisonné comme un coup de feu dans une église. L’inégalable romancier qui habite à l’intérieur du football n’aime rien de plus que tout mettre sens dessus dessous. Le Real était encore en observation quand tout à coup l’Alavés marca un but et le mot « tragédie » apparut dans mon commentaire. A l’heure de décrire les catastrophes ces exagérations tendent à laisser le fait diversier sans adjectif assez fort. Mais quelque soit le jeu auquel on joue, il se doit de prendre toute la place pendant un temps. Si cela arrive à un joueur, il sera concentré au maximum; si cela arrive à un supporter, il oubliera le temps d’un match la vie qu’il a laissée à l’extérieur du stade; si cela arrive au commentateur, il se doit de se laisser emporter par cette merveilleuse fiction. A la fin de la rencontre, je suis tombé sur Lopetegui et Florentino. En voyant leurs mines, je me suis dit « au diable les faits diversiers, ceci c’est une tragédie ».

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Un autre règlement pour le Real (traduction)

Sans titre

Par Jorge Valdano

Publié dans El Pais, le 06/10/2018

Le parc des horreurs

Tout à coup, ce qui était flou devient clair et inversement. Valladolid, par exemple, a démarré en hésitant mais en trois jours a gagné deux matchs qui l’ont propulsé au milieu du classement. Au même moment, Madrid et Barça ont vu leur puissance sombrer dans un précipice.  Tout ceci peut s’arranger dès cette semaine. Au bout du compte, le football a toujours payé comptant, c’est d’ailleurs pour cette raison que nous acceptons sa condition de phénomène pendulaire se balançant violemment au rythme des résultats. Ce ne sont que des suggestions mais prenez garde aux conséquences. Les réseaux exagèrent les va-et-vient au point qu’ils finissent par convertir un match de huitième journée de championnat en une question de vie ou de mort. C’est terrible pour les entraîneurs qui doivent lutter contre les forces occultes de la perception. Les pauvres. Dans ce parc d’attractions qu’est la Liga, ils sont condamnés à rester dans le train fantôme.

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La table d’Asensio (traduction)

par Jorge Valdano

Tiré de « El juego infinito » (le jeu infini), chronique hebdomadaire dans El Pais

Pour que le joueur du Real soit vraiment un crack, il lui manque une chose: se sentir crack.

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Lumières de Champions

La Champions n’en finit pas de grandir. Lumières de néons qui éclairent un tournoi millionaire et prestigieux auprès duquel les grands clubs et les grands joueurs cherchent la gloire et l’argent. Je ne voudrais pas gâcher la fête, mais cette compétition provoquera toutes les injustices qui accompagnent la mondialisation: une poignée de riches visibles et beaucoup de pauvres invisibles. Parce que, tôt ou tard, la Champions prendra possession de nos week-ends, reléguant les championnats nationaux aux mercredis. Imaginez alors les désastreuses conséquences économiques. Cette année, le vainqueur pourrait emporter la bagatelle de 130 millions d’euros soit plus du double du budget de 70% des clubs de Liga. Tandis que les lumières nous éblouissent, le football se dépopularise.

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A la recherche de Cristiano (traduction)

par Jorge Valdano

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El Pais, 15 septembre 2018

L’absence de l’attaquant portugais se fait à ce point ressentir qu’on ne cesse de le voir là où il n’est plus.

VAR : le football avec préservatif. Pour moi le football est comme un jeu sauvage où la technologie n’a pas sa place et, par pure cohérence, j’examine donc la VAR comme un intrus qui nous dirait des vérités à contretemps. Avoir raison trop tard est peut-être inopportun, certes, mais c’est juste. Comme il est mal élevé de parler contre la justice, par pure incohérence, je me joins à contrecœur aux applaudissements qui lui ont été adressés lors des premières journées de Liga. Erreurs mises à part, car il y en a toujours, la VAR a mis un terme aux suspicions des complotistes qui regardent l’arbitre comme un colis suspect. Le sentiment de justice et de paix social qui règnent après une décision du comité arbitral ne sont pas des questions de seconde importance, néanmoins elles enlèvent au football de son explosivité spontanée, qui est à mon sens une partie intégrante de sa nature. Ce jeu « sauvage et sentimental », ainsi défini par l’infaillible Javier Marías, nous force peu à peu à nous civiliser au prix de devoir maintenant crier « but ! » une minute après le but.

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