Le roi David (Pujadas)

Il faut savoir rendre les hommages à son roi.

Que ferait David Pujadas à ma place ? Je me pose souvent cette question quand la vie me présente des impasses desquelles je ne parviens pas à sortir. Je l’imagine le sourcil velu, l’oeil réprobateur et le ton grave. Je vois le roi David le torse bombé, stylo d’instituteur menaçant en guise de fronde pointée dans ma direction. J’entends des roulements de tambour (je souligne quand il souligne) : « on le sait ce sont les jeunes qui sont les premiers concernés: CDD mais aussi petits boulots, intérims et souvent chômage. À quoi ressemble la vie de cette jeune génération qui vit souvent ses premiers pas professionnels dans ce qu’on appelle …la précarité ? Regardez le carnet de route de Laurent Débonnaire ». Dans mes rêves je m’imagine qu’une équipe de télévision frappe ensuite à ma porte et que la France me verrait bafouiller en direct au moment d’expliquer mon métier.

-Je suis écrivain… enfin journaliste. Pas vraiment. Journaliste sportif. Euh… non en fait je suis écrivain sportif.

Ce genre de chuchotis est inaudible de la ménagère. La garantie d’être de tous les micro-trottoirs c’est un sonore de 20 secondes et une seule idée simple.

– Monsieur parlez-nous clairement. Vous êtes au chômage depuis combien de temps ?

– Euh… disons que je suis écrivain, pas vraiment chômeur.

David en a vu d’autres et ne se laisse jamais démonter par un invité si peu disert. Il sait comment s’y prendre pour obtenir de lui ce qu’il veut. Je l’avais vu à l’oeuvre quelques heures auparavant avec Bernard Cazeneuve. Le Ministre de l’Interieur avait fait preuve d’une élégante pondération dans ses propos. Il était même parvenu à répéter « menace protéiforme » à plusieurs reprises et à une heure de grande écoute sans qu’on lui coupe le micro.

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Maigre et gras

Du rapport complexe que j’entretiens avec mon abdomen.

Mon passage sur l’autre versant de l’existence date du jour où je devinai sous mon T-shirt les premières courbes étrangères. La relation qu’un homme entretient à son embonpoint naissant est une affaire biblique. Il ne s’agit pas uniquement d’avoir la taille svelte, le torse fort. Non, l’âge avançant, la silhouette d’un homme est empreinte d’une gravité nouvelle. Si les femmes entretiennent avec leur poids une conversation ininterrompue depuis l’adolescence, pour les hommes, cette découverte est plus brutale. Elle ne tient pas en quelques chiffres abstraits (une balance pour la fête des pères est-elle une bonne idée de cadeau ?), mais un rapport nouveau et curieux avec son apparence et sa silhouette.

C’est donc avec un certain embarras, je l’avoue ici, que j’admets avoir fait la connaissance d’une nouvelle partie de mon corps qui, depuis quelques temps, semble mener une existence autonome. Ce qui me semblait naturel depuis les années de lycée (manger des Big Mac et toujours rester mince) tient aujourd’hui du miracle diététique. Je crois que vieillir c’est faire l’épreuve d’une gravité nouvelle : s’arrondir un peu plus chaque jour avant de s’effondrer pour toujours.

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Comment j’ai gardé ma femme

C’est ici que tout commence. C’est ici aussi que tout finit. Premier essai de théorisation du monde.

Je n’arrive pas à me décider. Je réfléchis beaucoup trop. Donnez-moi n’importe quel fait, n’importe quel hasard, j’en ferai le plus sérieux des problèmes, la plus ennuyeuse des énigmes. Transformer les décisions les plus courantes (choisir sa marque de café, opter pour un shampoing plutôt qu’un autre) en une telle aporie que plus aucune légèreté ne soit possible (quelle est la différence fondamentale entre un café brésilien et un café colombien ? Qu’est-ce qu’un cheveu normal ?), voilà le problème de ma vie.

Si je ne peux m’empêcher d’entrer dans d’interminables délibérations intérieures avant de me prononcer définitivement sur n’importe quel sujet, c’est que mon dos se bloque à la seule mention de cette idée terrifiante : me tromper. Ainsi, au moment de mener ma vie de citoyen exemplaire, il n’est pas rare que je me pose ce genre d’alternatives : Franprix est moins cher mais Monoprix est mieux fréquenté, lequel choisir ?  Je prends alors quelques minutes, immobile sur mon trottoir et le chariot à la main, pour méditer mûrement mon choix.  Je me rappelle l’éloge de Monoprix par Michel Houellebecq (« c’est magnifique Monoprix »). Quel est mon rapport à son oeuvre ? Mimétisme ou rejet ? Mimétisme, plutôt. Mais discret. J’opte donc pour Franprix, mais dans une perspective critique. Bref, je me prends la tête pour un rien.

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Juanma Lillo, l’homme qu’il faut au football français

« J’ai rencontré quelqu’un de plus fou que nous », confia un jour Menotti à Valdano au sujet de cet homme. Futur adjoint de Jorge Sampaoli, son nom est sur les lèvres de ceux qui cherchent un avenir au banc de l’Olympique de Marseille. Portrait d’un homme dont le palmarès se compte en amitiés et en admirations … Lire la suite

Football à la française – sortie le 21 avril 2016

  « À ceux qui répètent comme un mantra qu’ « il n’y a pas de culture foot en France» sans se rendre compte qu’ils sont les premiers responsables d’un mal qu’ils déplorent, Thibaud Leplat apporte un démenti formel et magistral. Dans Football à la française, il dessine l’impossible généalogie du football hexagonal des années 1930 à aujourd’hui. Il montre … Lire la suite

Pep Guardiola, l’héritier sans testament

Pep vient de perdre l’homme qui avait fait de lui un joueur de football, un capitaine et un entraîneur. JC est mort en pleine semaine sainte. C’est à Pep désormais de porter sa croix.

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Que dirons-nous aux plus jeunes ?

Pep nous a raconté cette parabole ce matin, pour nous aider.

Marius, le fils de Pep Guardiola, qui n’avait pas connu Johan Cruyff et qui n’aimait pas tellement l’école demanda hier soir à son père pourquoi il avait l’air si triste. C’est vrai, il avait souvent entendu le nom de « Johan » ou de « Cruyff » dans la bouche de ses parents. Mais jamais le bambin n’avait remarqué les yeux de son père aussi perdus dans le vague qu’hier soir au moment de prononcer son nom. « Cruyff » c’était pour lui le son que faisait les grenouilles au bord des étangs quand on savait rester immobile un instant. « Cruyff, Cruyff » c’était ce qu’il entendait quand il leur tournait le dos puis, faisant mine de s’éloigner, d’un saut vif et expert, en attrapait enfin une. Devant les yeux admiratifs de ses deux soeurs, il triomphait de ses dernières trouilles d’enfant. Pour Marius, Cruyff était un bruit. Pour Pep, c’était un maître.

Comme le petit orphelin de la légende racontée par Walt Disney avait trouvé refuge chez un vieux mage à la barbiche trop blanche pour être véritablement inquiétante, le petit Marius Guardiola, du haut de ses treize ans, écoutait attentivement ce que lui racontait son papa. Cruyff c’était un monsieur qu’il avait connu quand il était très jeune et qu’il n’avait pas encore rencontré sa maman.

– Johan était pour nous plus qu’un entraîneur. C’était comme un maître d’école qui faisait plein de tours rigolos. Il était un peu sévère mais en même temps nous faisait découvrir beaucoup de choses nouvelles.

– Ah… répondit Marius, un brin circonspect.

Marius avait connu quelques instituteurs qui lui avaient plu. Il comprenait de ce que lui disait son père. Non, ce qui le chiffonnait, c’était une question : comment pouvait-on être impatient d’aller à l’école ?

– Mais ses cours étaient tellement bien, que le matin on était pressé d’y aller !

Alors le visage du petit s’éclaira tout à coup.

Il se souvint du barbu si rigolo qu’il avait vu à la télévision.

– Comme Merlin ?

– Oui, mon chéri. Exactement… Comme Merlin.

Il est ici facile d’imaginer Pep prendre son garçon dans les bras et l’embrasser.

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Éloge de… L’amour est dans le pré

La fameuse émission de M6 est un chef d’oeuvre, il faut bien le reconnaître. Mais pas de n’importe quel type, c’est un chef d’oeuvre français.

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Bien sûr on peut toujours reculer d’un pas et d’un air contrit esquisser une moue dubitative. On peut aussi, sans doute par snobisme, faire mine de ne jamais s’y être intéressé, d’avoir d’autres chefs-d’oeuvres à lire le lundi soir, d’autres amis à voir ou d’autre semblable à contempler pour se pencher pendant plus de deux heures sur la solitude affective de quelques cultivateurs mélancoliques. On peut nier, mais on mentirait si l’on disait qu’on n’avait jamais rien ressenti en voyant ces hommes bourrus la larme à l’oeil courant après leur amour (“Katia je t’aime putain”), on serait malhonnête si l’on n’avouait pas avoir un instant pensé nous aussi à notre mère, notre père, notre tante, notre oncle, et songé à leur vanter à notre tour les mérites d’une lettre parfumée et d’un poèmes aux rimes touchantes et primitives.

S’il faut faire l’éloge de l’Amour est dans le pré (et de sa présentatrice Karine Lemarchand) ce n’est pas pour la mise en scène exagérément bucolique qu’elle propose du monde rural. Ce n’est pas non plus pour le soin pris par l’équipe technique à convertir n’importe quelle étendue ocre avant un coucher du soleil en un décor féerique (traveling, étalonnage, montage) propice à préparer nos esprits à l’émoi d’un speed-dating sur une péniche, aux frétillements d’une assistante de direction parisienne pour un vieux garçon solitaire de l’Allier aux doigts de géant et au coeur de petit garçon.

Non, s’il faut ici dresser l’éloge de l’Amour est dans le Pré c’est parce qu’il est un chef-d’oeuvre total de la télévision française.

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Éloge de… François Langlet

Dimanche on n’a rien compris aux explications de François Langlet sur le plateau du journal télévisé de France 2. Mais peu importe. Le chauve le plus inquiétant de France nous a encore sauvé des griffes vénales du capitalisme. Éloge.

Francois Lenglet, journaliste francais. Une fois par mois, Franz-Olivier Giesbert recoit des personnalites pour debattre de l actualite. la Plaine St Denis,FRANCE-le 27/11/12/BALTEL_LMDA.06/Credit:BALTEL/SIPA/SIPA/1301181320

Il y a encore des gens qui n’aiment pas l’économie. Dimanche soir François Langlet portait une veste de velours bleu marine et une cravate couleur saumon. Comme toujours il avait le cuir chevelu parfaitement lisse et sur la surface légèrement concave de son crâne ovoïde se reflétaient avec finesse les rayons des ampoules éclairant le studio du Journal Télévisé de France 2.  Il avait cet moue, François Langlet, qu’il a toujours avant de prendre la parole. Le nez aux cavités profondes capable de humer avant les autres les saveurs du lointain, l’oeil électrique et le sourcil en circonflexe, François Langlet était un être venu du futur pour nous rassurer sur nos destinées de consommateurs exemplaires. Il avait l’air d’avoir des choses à nous dire ce dimanche quand Laurent Delahousse, semblable à ces jeunes étudiants perdus sous une indéchiffrable quantité de notes et de paperasse se tourna vers lui comme vers un aîné. Ce dernier, fier d’être ainsi interpellé par un amphithéâtre rempli néophytes, n’avait placé devant lui, ne la consultant qu’avec la parcimonie de l’expert exercé, un minuscule feuillet ponctué de quelques notes. 

Quand Français Langlet prend la parole, Laurent Delahousse se tait mais c’est nous qui faisons silence. 

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Diego Costa ou la beauté du diable

Est-ce un sacrilège de faire l’éloge de Diego Costa ? Cet homme est peut-être le méchant le plus réussi depuis le serpent. C’est à lui qu’on doit le piment et l’aigreur. C’est à lui qu’on doit la révolte de Paris. La fonction de Diego Costa est exactement celle de son double, le diable. Combien d’heures … Lire la suite

Guardiola, éloge du style – sortie avril 2015

« Prologue  Le procès Guardiola Le 27 avril 2012, le jeune entraîneur catalan Pep Guardiola, qui avait été jusque là  le brillant chef d’orchestre de la plus grande équipe de ces vingt dernières années, décida de quitter prématurément le FC Barcelone, club qui l’avait formé jusque ici comme joueur, comme entraîneur et dont il dirigeait la … Lire la suite